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présent... mais rien moins que le royaume de France. Après un moment de réflexion, le Roi étonné fit le cadeau. Jeanne l’accepta : « Et voilà, maintenant, le plus pauvre chevalier du royaume, » dit-elle, en montrant le roi à l’assistance. Tout de suite après, elle livra au Dieu tout-puissant le don qu’elle venait de recevoir. Puis, au bout d’un instant, obéissant à ordre de Dieu, elle investit le roi Charles du royaume. Et, du tout, fit dresser une charte solennelle[1]. »

Dans ces mêmes sentimens et aux mêmes époques, Florence se donnait, pour Roi, le Christ, Sienne reconnaissait comme dame et maîtresse la Sainte-Vierge ; et, là non plus, ce n’était pas en paroles, mais en fait, en droit, que ces fidélités et ces loyautés étaient jurées[2].

L’image de l’Annonciation, enfin, c’est la commémoration constante, auprès d’elle, de cette fête de la Notre-Dame du Puy qui lui a été assignée comme le point de départ de sa mission. La Vierge pure, lange « annonçant, » la fleur de lys, c’est toute sa vocation. Cette épithète d’« Angélique » était celle qui qualifiait la cathédrale du Puy et, aussi, ce Fra Angelico da Fiesole qui, juste à l’époque où Jeanne portait, sur les champs de bataille, l’image sacrée, ne se lassait pas de peindre la même image dans les couvens et les villes de l’Italie.

Coïncidence non arbitraire, ni due au hasard, mais émanant de l’intime essence des choses et déterminée par des mouvemens d’âme simultanés à travers un monde identique, traduisant, partout, les mêmes aspirations et une même inspiration.

On ne peut séparer, à cette époque, l’histoire de la France et l’histoire de l’Italie ; elles se pénétraient constamment depuis le transfert de la Papauté à Avignon.

Une erreur analogue à celle qui, dans l’histoire des Arts, fixa longtemps l’origine de la Renaissance française à l’époque de Charles VIII et de Louis XII, au retour des guerres d’Italie, fausse, non moins gravement, l’histoire politique. On paraît croire que, pendant la guerre de Cent ans, la France s’est repliée sur elle-même, a rétrogradé, pour ainsi dire, s’est

  1. Déposition du duc. d’Alençon. Procès (III, 91). Voyez aussi, IV, 140, 486, etc. — L. Delisle, Nouveau témoignage relatif à la mission de Jeanne d’Arc.
  2. Sur le « règne » de la Vierge à Sienne, Sena velus, civitas Virginis, voyez Langton Douglas, A History of Siena, Londres, 1907, in-8. — Cf. Teodor de Wyzewa, L’Ame siennoise dans les Maîtres italiens d’autrefois (p. 1 et suiv.).