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jubilé de 1429, quels furent les promoteurs, quels furent les orateurs, quels furent les pompes et les mouvemens des foules. On peut admettre, toutefois, que le concours fut immense, car, aux deux pèlerinages de 1407 et de 1418, provoqués par la même coïncidence, le 25 mars, de la fête de l’Annonciation et du Vendredi Saint, des pèlerins furent étouffés par la presse (200 en 1407 et 33 en 1418). En 1429, on prévoyait un afflux non moins grand, puisque Charles VII obtint du pape Martin V que le délai pendant lequel les indulgences seraient accordées fût prorogé jusqu’au 3 avril.

Est-il permis de négliger des circonstances si considérables, s’il s’agit d’expliquer les sentimens de la mère de Jeanne et l’inspiration de l’héroïne ? Au Puy s’est réfugié, en quelque sorte, l’espoir suprême de la France et le culte spécial de la « Vierge annoncée, » de la « Vierge Angélique, » celle à qui l’ange incliné apporte la couronne, emblème de la pureté. Le sanctuaire du Puy est, en même temps, le sanctuaire et le palladium de la royauté française. La Vierge des Lys et la royauté des Lys, ces deux images sont unies dans l’enthousiasme des foules : elles protègent le monde contre les traits de la violence terrestre et de la vengeance céleste.

La mère de Jeanne pense ainsi, puisqu’elle est au Puy, implorant « la Vierge de miséricorde. » Sa fille est cela, rien que cela : l’Angélique par excellence, comme le peuple la nomme du premier coup, la « messagère de Dieu, » comme disent les comptes officiels de la ville de Clermont[1].

Le culte de Jeanne d’Arc à l’égard de la Vierge chaste et immaculée ne résulterait pas de toute l’évolution religieuse du temps et du caractère virginal qui fut, par excellence, le sien, qu’il serait attesté par ses propres déclarations souventes fois répétées et par les témoignages de ceux qui ont connu l’intimité de son âme. Quand elle somme les Anglais de vider le royaume, c’est au nom « du roi du ciel, fils de sainte Marie. » Quand ses juges lui demandent d’où procède sa mission, elle répond : « qu’elle est venue au roi de France de par Dieu, de par la Vierge mère et tous les bienheureux saints et saintes du Paradis. »

  1. « Parmi France, dit l’auteur des Trahisons de France, violent pamphlet bourguignon, parmi France, dès qu’elle parut, l’appelaient les folles et simples gens Angélique... » — Voyez le texte des comptes de la ville de Clermont « le papier du Chien » dans Wallon, Jeanne d’Arc, édit. illustrée (p. 191).