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encore, de l’anarchie romaine, Avignon avait été le port et la royauté de saint Louis la sauvegarde.

La royauté française tenait son autorité de Dieu, Dei gratia Francorum rex ; elle était consacrée par la sainte ampoule, elle avait le don des miracles, elle représentait, à la fois, la lutte contre les musulmans, contre les hérétiques, contre les prétentions impériales, et, enfin, elle était la première puissance autorisée qui se fût dressée contre l’aristocratie féodale et l’aristocratie ecclésiastique.

Au milieu d’un monde pervers, barbare et brutal, la France, « fille aînée de l’Eglise, » abondante en initiatives, en ressources et en génie, représentait la protection, le secours ; c’était « le pôle vers lequel se dirigeait le vaisseau de l’Église battu par la tempête[1]. » La prophétie de Télesphore n’avait-elle pas annoncé, aux applaudissemens universels, qu’un roi Charles, fils de Charles, de l’illustre race des fleurs de lys, prince au front élevé, aux sourcils hauts, au nez aquilin, rétablirait les affaires du monde, apaiserait les luttes intestines de la Chrétienté, s’emparerait de Jérusalem et, par sa crucifixion à l’âge de trente et un ans, au mont des Oliviers, ramènerait le règne du Christ sur la terre[2] ? »

Nous savons peu de chose sur ce qui se passa au Puy lors du

  1. Lettre du patriarche de Constantinople à Charles V, dans Valois, le Grand Schisme (t. I, p. 312).
  2. Ibid, (t. I, p. 271). Cette prophétie est appliquée, par les vers fameux de Christine de Pisan, à l’apparition de Jeanne d’Arc :
    Car un roi de France doit être
    Charles, fils de Charles nommé ;
    Lui sur tous rois sera grand maître ;
    Prophéties l’ont surnommé
    Le cerf-volant ; et consomé
    Sera par lui conquéreur
    Maint fait : Dieu l’a à ce somé (désigné)
    Et enfin doit être empereur.
    ( Procès, V, p. 8.)
    — Le caractère mystique de la royauté de saint Louis est admirablement exprimé dans le préambule de l’Ordonnance de Charles V, sur la majorité des Rois : « Par-dessus tout, demeure gravé en notre cœur, en caractères indélébiles, le souvenir du gouvernement de notre saint aïeul, prédécesseur, patron et spécial défenseur, le bienheureux Louis, fleur, honneur, bannière et miroir non seulement de notre race royale, mais de tous les Français ; de cet homme que n’a touché, grâce à la faveur divine, la contagion d’aucun péché mortel. Sa vie doit être notre enseignement... » Cité dans Coville, Histoire de France de Lavisse (t. IV, p. 185). — Même les adversaires reconnaissent cette splendeur morale de la couronne de France. Chastellain, qui est « Bourguignon, « exalte, au-dessus de toutes les autres nations, « la France là où, naturellement, doit être le trône des gloires et honneurs mondains. » (Ibid., t. V, p. 43.)