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chacun par un délégué, le Bénédictin, le Camaldule, le Chartreux, le Cistercien, le Prémontré, puis les deux ordres récens qui s’emparaient alors de la Chrétienté, le Franciscain et le Dominicain, enfin, une seule moniale, agenouillée à la dernière place et représentant, peut-être, la dernière venue, la restauratrice récente de l’ordre des Clarisses, Colette de Corbie[1]. Derrière la Vierge, des saints intercesseurs, saint Pierre, saint Jean, saint Sébastien joignent leurs prières à celles des fidèles.

Encore une fois, cette peinture s’inspire d’un motif traditionnel et répandu, alors, dans toute la chrétienté. Les maux dont l’Eglise et le siècle sont frappés les jettent l’un et l’autre, comme dans un refuge, au giron de la mère de Jésus. Mais, l’importance donnée, ici, à la représentation des ordres monastiques dit la pensée particulière qui inspira l’œuvre.

Dans la crise affreuse qu’elle traverse, l’humanité a trouvé un secours puissant, c’est l’intervention des ordres religieux. Elle a vu se former, en son sein, ces milices qui, organisées en institutions presque militaires, engagent la lutte contre les féodalités ecclésiastiques et laïques. Elles prient, c’est-à-dire qu’elles veulent, et leurs prières seront exaucées.

La catholicité était, alors, agitée par les formidables secousses, suites du grand schisme. Entre le Concile de Constance et le Concile de Bâle, le sort de l’Eglise paraissait incertain ; en tout cas, les voies du salut étaient douteuses. Cependant, tout le monde savait, tout le monde disait qu’il n’y avait qu’une issue : la réforme, et que cette réforme devait être accomplie, d’abord, sur l’Eglise elle-même, « en son chef et en ses membres : » l’Église par son orgueil, par son faste, par ses dissensions intestines, en un mot, par son désordre, avait attiré sur le monde la colère céleste ; l’épouse avait péché.

Ces pensées n’étaient pas seulement répandues dans le monde laïque, soumis et prosterné devant les autels ; c’est surtout au cœur des ecclésiastiques, dans les âmes fortement imprégnées de la leçon du Christ et soucieuse de son « règne, » qu’elles couvaient, prêtes à éclater au premier choc. Qui ignore les fameuses prosopopées des saint Bernard, des Clemengis et des Pierre d’Ailly ? Saint Vincent Ferrier, accompagné d’un cortège de pleureurs et de flagellans, était venu prêcher au Puy, en l’an

  1. S’il en était ainsi, la date du tableau serait postérieure à 1430 ; cf. Médicis, Liber de Podio (p. 246).