Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/261

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

caractère de ces concours extraordinaires : « Afin que tout se passe bien, prière sera faite à Mgr l’évêque du Puy et aux gens d’Eglise qu’on prévienne un jour d’avance qu’il y aura une procession générale et un ferme propos en vue duquel chacun sera averti de se mettre en bonne disposition que l’un pardonne à l’autre[1], que tous prient Dieu et Notre-Dame qu’il leur plaise accorder pardon et indulgence pour le salut de leurs âmes, et que Dieu fasse cesser guerres et tribulations, selon la parole : Clamaverunt justi et ex omnibus tribulationibus liberavit cor hominum. »

Sans qu’il soit possible de déterminer nettement l’esprit auquel obéissaient alors les hommes qui avaient à veiller à ces prodigieux exodes, amenant par 3 ou 400 000 les fidèles au sanctuaire du Puy, on peut affirmer, du moins, que leur inspiration était nettement « dauphinoise, » « française » et favorable à Charles VII. Une fois de plus, ces montagnes du massif intérieur apparaissaient comme le refuge suprême de l’indépendance[2]. « Le dimanche 14 décembre 1421, fut porté le très dévot et saint image Notre-Dame du Puy pour la paix et union de la sainte Eglise et à cette fin qu’il plût à Dieu et à la Vierge Marie donner victoire au roy de France Charles VI et à Mgr le Dauphin de leurs ennemis, et la portèrent en moult noble ordre à la porte Saint-Robert et la mirent regardant la France : et, de là, fut portée et conduite honorablement au Fort de la dite Eglise où elle demeura par l’espace de deux heures ; et là fut un bon sermon que dit Maître Guillaume Branchot, et plusieurs gens et quasi tout le populaire pleuroit à chaudes larmes devant ce dévot image lesquels demandaient affectueusement à la Vierge Marie

  1. L’imploration de ce siècle, c’est toujours la réconciliation, la miséricorde, tant cette ère de querelles et de discordes était devenue intolérable à tous. Morosini attribue, à la venue de la Pucelle, ce résultat de réconcilier pacifiquement les Français, les Anglais, les Bourguignons, etc. Voyez Chronique de Morosini (t. III, p. 65).
  2. M. Camille Jullian, parlant de l’ancienne Gaule, retrouve, dans les mêmes régions, les mêmes élans et ces mêmes mouvemens des foules : « La vallée de la Loire nous offre les souvenirs les plus anciens et les traditions les plus fortes du monde gaulois... Des États de la Loire dépendent les lieux de grand pèlerinage, ces assemblées de prêtres et de dévots, ces groupemens de foules venues de partout pour se courber sous l’espérance ou la crainte, toutes ces panégyries spontanées qui sont la revanche de l’humanité en désir d’union sur les morcellemens misérables des sociétés politiques. Cette contrée qui présentait l’équivalent celtique de Delphes ou de Saint-Jacques, de la Mecque ou de Lourdes, était bien le « milieu » moral de toute la Gaule. » Histoire de la Gaule, II, p. 531.