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duquel étoit la chaire qu’on prêchoit[1]. » Ainsi, toutes les traditions s’unissaient et se confondaient sur cette roche sainte. Des reliques sans prix attiraient la curiosité et la dévotion des fidèles, « la circoncision Notre-Seigneur, » du lait de la Sainte-Vierge, du bois de la vraie croix, le voile dont la Sainte-Vierge avait revêtu la nudité de son fils, de la manne des Hébreux, des reliques de sainte Anne, de saint Jean-Baptiste, de saint Jacques le Majeur, du vin des noces de Cana, et de nombreuses autres non moins précieuses dont la contemplation multipliait à l’infini les grâces et les indulgences.

Le pardon, la miséricorde, voilà ce que les foules viennent chercher dans ces lieux consacrés. Le mouvement instinctif qui les pousse, les réunit sur un point unique où, de se sentir vivre, souffrir et pleurer ensemble, elles se remémorent les terreurs ancestrales et s’enfoncent plus profondément dans l’âme les douleurs de l’heure présente.

La principale cérémonie, c’est le défilé devant les autels, où sont exposées les reliques, et l’assistance à une prédication, à une imploration publique, sur la place de Notre-Dame où s’élève le « beau mai. » Ces scènes où les pèlerins se frappent eux-mêmes jusqu’au sang, ces bousculades où ils se précipitent, voulant baiser, du moins, les voiles qui cachent les images adorées, ces pleurs, ces gémissemens qui confondent la douleur des membres meurtris et le deuil des cœurs affligés, tout ce spectacle de terreur, de contrition et d’espérance échappe à la direction des hommes. Les processions s’ébranlent, mues par la piété traditionnelle, telle l’émotion qui déplorait et déplore encore, en Orient, la mort de Bacchus, d’Osiris et d’Ali. La violence de l’instinct social rassemble ces hommes et les livre à la joie et à la fureur de se sentir foule. C’est à peine si les bergers de ces troupeaux parviennent à les parquer, à les diriger, à les nourrir. A chaque nouveau pèlerinage, ce sont de nouvelles victimes et, aux nouvelles convocations, les masses se précipitent plus denses vers ce défilé où l’on meurt.

Un exposé très minutieux des mesures prises en 1428 pour porter remède, autant que possible, aux accidens, explique le

  1. Etienne Medicis, le Livre de Podio ou Chronique d’Etienne Medicis, édition Chassaing, 1869, in-4 (t. I, p. 135). — Pour tout ce qui concerne le Puy, à l’époque de Jeanne d’Arc, consulter Bibliographie du Velay et de la Haute-Loire, par L. Pascal, t. I.