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La mère, Elizabeth Romée, sort de l’ombre d’où l’histoire éblouissante de sa fille l’avait insuffisamment tirée. On ne peut dire quelle ait connu les dessins de Jeanne ; la mère eût reculé sans doute devant leur audacieuse exécution ; du moins ne s’est-elle pas renfermée, à l’heure décisive, dans l’inertie et dans l’abstention[1]. Si elle ne fit que prier, elle pria ; si elle ne fit que veiller, elle veilla. Elle n’ignore pas ce qui se passe dans le monde : sa piété active et voyageuse a été le stimulant des déplacemens et des initiatives ; les rencontres, — voulues ou non, — des pèlerinages ont préparé, à Jeanne, les appuis et les fidélités qui la suivront. La mère ne perdra pas de vue sa fille. Elle veillera encore sur elle plus tard et jusqu’à la fin et même longtemps après l’horrible tragédie, jusqu’au jour où, demandant et obtenant la réhabilitation, elle l’aura justifiée !


De quels sentimens étaient animés les pèlerins venus au sanctuaire du Puy et pourquoi, à cette date, le sanctuaire les réunissait-il ?

Notre-Dame du Puy était alors, de tous les lieux de pèlerinages consacrés, en France, à la sainte Vierge, le plus célèbre, le plus fréquenté. La Vierge y était vénérée dès la plus haute antiquité. C’était une « vierge noire, » nigra, sed formasa, disait le dicton, empruntant le langage des livres saints. La tradition voulait qu’elle eût été sculptée, bien longtemps avant la naissance de Marie, par le prophète Jérémie. Conservée au trésor des sultans de Babylone, elle avait été rapportée et offerte au sanctuaire du Puy par un roi de France, probablement saint Louis. Cette image remontait, peut-être, aux temps druidiques, attestant, comme tant d’autres monumens analogues, la survivance des cultes locaux que l’Eglise, désespérant de les abolir, avait adoptés et consacrés. Il y avait, au sanctuaire du Puy, une pierre sacrée qui guérissait les malades, et, sur la place du sanctuaire, un « may, » un « beau arbre et tant joly... au-dessous

  1. Jeanne, dans son interrogatoire au procès, fait, certainement, une distinction entre l’attitude de son père et celle de sa mère à l’égard de « son parlement »... « et, par espécial, doublait moult son père, qu’il ne la empeschât de son véage faire... » Elle a ouy dire à sa mère que son père disait à ses frères : Si je cuidoye que la chose advensist, je vouldroye que la noyessiez ; et se vous ne le faisiés je la noieroi moy mesmes. » Procès (t. I, p. 129-132).