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pied et à petites journées, des frontières de Lorraine au Puy, ne put atteindre son but en moins d’un mois. Or, à l’époque du jubilé, elle était au Puy, voilà ce qui est incontestable.

Jeanne d’Arc ne l’avait pas oubliée ; car nous savons que, de Chinon, elle envoya, de son côté, au Puy, pour ces mêmes cérémonies du jubilé, « plusieurs de ceux qui l’avaient conduite vers le Roi. » Ces hommes, étant du pays, connaissaient Elizabeth Romée. On se retrouva ; on parla de l’absente, et des résolutions graves furent prises. Un religieux appartenant à l’ordre des Ermites de Saint-Augustin et du couvent de Baveux[1], qui se trouvait là, ayant été mis en relation avec le groupe des Lorrains (il dit en termes peu précis, « parce qu’ils étaient en quelque connaissance avec lui, » quia habebant aliquam notitiam cum loquente), ces gens, c’est-à-dire la mère de Jeanne d’Arc et les compagnons de celle-ci, lui exposèrent qu’il était désirable (conveniens] qu’il vînt auprès de celle-ci ; ils ajoutèrent qu’ils ne le laisseraient pas tant qu’ils ne l’auraient pas décidé à les suivre. Ce moine s’appelait Jean Pasquerel. Ayant pris son parti, il se rendit avec les compagnons de Jeanne à Chinon d’abord, puis à Tours où il rejoignit la Pucelle. Elle le prit immédiatement en grande sympathie, fit, de lui, son confesseur, son confident et il ne la quitta plus jusqu’au jour où elle fut faite prisonnière à Compiègne. (Voir toute la déposition de Jean Pasquerel, au procès de réhabilitation. Procès, t. III, p. 100 et suiv.)

Ces faits étant patens, indéniables, le rôle de la mère s’affirme ici, de même qu’il apparaît, au dire de Jeanne, dans la formation de l’âme de l’enfant. Elizabeth Romée, dévote de la Vierge du Puy, confiait sa fille à un religieux augustin de Bayeux (que des circonstances jusqu’ici ignorées avaient amené au Jubilé), tandis que Jeanne, ne pouvant s’y rendre elle-même, y avait, de son côté, envoyé ses plus chers compagnons.

On n’a rien relevé de plus précis et de plus significatif sur les sentimens dont Jeanne d’Arc fut entourée dans sa famille[2].

  1. Les Ermites de Saint-Augustin étaient un des quatre ordres mendians, avec les Dominicains, les Franciscains et les Carmes. PP. Belon et Balme, Bréhal (p. 13).— Pasquerel était donc un frère mendiant, et ceci a une très grande importance.
  2. Une lecture erronée de Quicherat, corrigée, d’ailleurs, par Vallet de Viriville, avait, d’abord, laissé dans l’ombre ce fait considérable. Depuis, certains historiens ont affecté de n’y attacher qu’une médiocre importance, mais l’étude attentive des circonstances ambiantes permet de le considérer comme un de ceux qui éclairent le plus fortement l’histoire de Jeanne d’Arc. Il ne s’agit pas de suivre Siméon Luce dans ses développemens trop souvent téméraires, mais de projeter, une fois pour toutes, sur la psychologie de Jeanne et des siens, un trait de lumière singulièrement expressif.