Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/255

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’accablait, un refus simple et fort. Grande dans l’action, plus grande dans la négation, elle dit non et elle monta au bûcher. Le ressort de son âme ne plia pas. « Bienheureuse » et « sainte, » parce qu’elle fut inspirée et pure, mais héroïque et grande, parce qu’elle fut une âme libre ; ainsi, doublement « angélique, » selon le nom que lui donnait le peuple, annonciatrice de la foi active et des prochaines délivrances.


I. LES ORIGINES

Jeanne d’Arc fut tout piété et patriotisme. D’où lui vint la connaissance qu’elle eut, dès la plus tendre jeunesse, de sa religion et de son pays ?

Avant l’âge de treize ans, sa mission ne lui a pas été révélée : elle est une simple petite fille des champs, sans prédestination apparente. Né dans un village inconnu, elle y vivait, voilà tout !

On sait la pastorale que fut cette enfance, pastorale si soudainement traversée par des passages de gens de guerre et des brutalités de soldats. C’est seulement à l’âge de treize ans que Jeanne d’Arc commence à entendre l’appel qui lui est adressé[1] Certes, elle doute, elle résiste, mais elle comprend. Qui a donné, à cette jeune fille, cette intelligence et ce discernement ? Qui l’a mise en état de saisir, même pour obéir ? Qui a formé l’âme de Jeanne d’Arc ?

À cette question, elle a répondu, elle-même, de la façon la plus nette : pour les choses religieuses, elle, n’a eu qu’un maître, sa mère : Dixit preterea quod a matre didicit PATER NOSTER, AVE MARIA, CREDO, nec alibi didicit credentiam nisi prefata matre ; « elle dit que c’est sa mère qui lui apprit le Notre Père, le Salut Marie et le Symbole des apôtres et que de nulle autre part que de sa mère elle n’a appris sa créance (Procès I, 47). »

Qu’était donc cette femme, la mère de Jeanne d’Arc ? Elle s’appelait Romée ou Rommée. Le nom, comme on l’a fait remarquer souvent, évoque l’idée d’un pèlerinage accompli, — peut-être à Rome au Jubilé de 1425 où les Français vinrent en foule[2].

  1. Les questions relatives à l’inspiration divine, à la « vocation » de Jeanne d’Arc, seront groupées et étudiées dans le chapitre suivant : la Mission.
  2. La mère de Jeanne d’Arc s’appelait-elle, de son nom de famille, Romée ? M. Lanery d’Arc le met en doute, et pense que c’était un surnom dû au fait qu’elle s’était rendue en personne à un pèlerinage et il cite un document emprunté à M. de Ribbe, constatant que, dans un acte notarié de 1432, un nommé Duranti est surnommé Romieu, « parce qu’il avait été au grand jubilé du Puy-en-Velay en 1429, » ce qui est le cas, comme on va le voir, de la mère de Jeanne d’Arc. (Lanery d’Arc : Le culte de Jeanne d’Arc au XVe siècle, p. 14.) — Si elle portait ce surnom avant le pèlerinage du Puy, l’hypothèse d’un pèlerinage antérieur à Rome est plausible et aurait une importance capitale. Mais nous en sommes, jusqu’à nouvel ordre, réduits aux hypothèses. Observez qu’un neveu d’Elizabeth serait appelé « Nicolas Rommée, dit de Vouthon, » d’après un texte cité par Du Lys (Procès, t. V, p. 252), mais ce document inspire peu de confiance. — Un passage de Dante, dans la Vita nuova, fait une distinction précise entre les diverses catégories de pèlerins. « Chiamansi Palmiri inquanto vanno oltramare ; chiamansi Peregrini inquanto vanno alla Caza di Galicia ; chiamansi Romei inquanto vanno a Roma. »