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l’imprévu, est assez vaste pour qu’il occupe encore plus d’une génération. L’effort historique accompli dans ces dernières années n’en est pas moins considérable et il ne paraît pas inutile de rendre compte, à la fois, de ces nombreux et importans travaux.

Sans faire œuvre d’érudit, je voudrais essayer de dégager, dans un rapide tableau, l’expression nouvelle que des lumières plus abondantes ont donnée à cette naïve et claire figure. J’ai abordé le problème en homme qui voulait comprendre et s’instruire. Après avoir beaucoup lu, comparé, réfléchi, j’offre au public le résultat de mes études. Que demande-t-il, en somme, que d’être renseigné de bonne foi ?

Il ne trouvera pas, ici, un récit continu de la vie de Jeanne d’Arc. Les faits sont notoires, et les renseignemens nouveaux qui se produisent maintenant ne font que s’ajouter à une trame solidement tissée. Je voudrais, surtout, examiner les grands problèmes que pose cette vie et qui seront, pendant longtemps encore, livrés à la discussion des hommes.


Dans la carrière de Jeanne d’Arc, il y a quatre mystères, le mystère de la formation ou des origines, le mystère de la mission, le mystère de l’abandon et le mystère de la condamnation.

Quelles influences préparèrent Jeanne d’Arc, d’où son inspiration, pourquoi fut-elle délaissée par les hommes du Roi et comment condamnée par les juges de Rouen, telles sont les questions que je me propose d’examiner en recourant à l’abondante « littérature » parue récemment et qui permet de pénétrer plus près de son âme et de son siècle.

De quelque nature que soit l’inspiration de Jeanne d’Arc, — divine ou humaine, — son histoire ne peut être détachée de celle de son temps, pas plus que sa formation ne fut soustraite aux influences ambiantes. C’est parce qu’elle naquit dans une période de calamités extraordinaires que la vierge de Domremy eut pour mission de sauver le pays : s’il n’y avait pas eu, à cette époque, « une si grande pitié au royaume de France, » son existence se serait ensevelie, ignorée, dans le nécrologe anonyme des multitudes humaines.

Sa physionomie est autrement vivante, si on la voit se détacher sur le fond extraordinairement animé de l’époque où elle vécut. Le grand schisme touchait à sa fin, la Réforme naissait