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trompe contre lui-même. Doux, bon et humain, combien de fois, au cours de son histoire, ne s’est-il pas blessé d’un de ces gestes imprudens qui sont la détente d’un ressort trop vite, et dont cette même histoire traîne, ensuite, l’éternel remords !

Aucune nation moderne n’a, dans ses annales, une figure pareille à celle de Jeanne d’Arc, héroïne, sainte et martyre. Jeanne d’Arc appartient indivisiblement à tous les Français. Aucun parti n’a le droit d’excommunier en son nom ; mais aucun parti n’a le droit de la renier ni de se dérober au pacte de fidélité que son sang et sa mort ont scellé entre elle et le pays.

Ni intolérance, ni ingratitude, tel est le devoir héréditaire au sujet de Jeanne d’Arc. Il n’est pas permis aux Français d’ignorer, d’effacer ou d’altérer son souvenir : il ne leur est pas permis de ne pas se connaître et s’aimer en elle.

Cette histoire, quoi qu’on fasse, ne peut être oubliée ; elle se récrit et se récrira sans cesse. Elle aura raison des partis pris et des polémiques ; car elle est belle et claire comme la lumière du jour. Incomparable légende qui est la simple vérité !

Le récit de la vie de Jeanne d’Arc vient de se nourrir encore à la faveur de l’enquête qu’a provoquée le procès en cour de Rome. La curiosité universelle a été réveillée par la piété universelle. Les routes, les pierres ont fourni leurs témoignages ; l’ardeur des écrivains religieux a soutenu le zèle qui abordait des travaux de longue haleine, comme ceux du P. Ayrolles et de l’abbé Dunand, ou qui dictait des pages plus heureusement mesurées, comme celles que M. l’abbé Chevalier a consacrées à la question tant controversée de l’abjuration. Et puis, Rome a parlé, et ses sentences sont aussi de l’histoire.

M. Anatole France a livré au public une biographie complète de Jeanne d’Arc où l’illustre écrivain a présenté, avec un art consommé, la thèse de l’école rationaliste. Des érudits laborieux ont fouillé les archives et en ont tiré le tableau du monde où vécut l’héroïne[1]. L’Angleterre elle-même s’est émue et elle

  1. Il est impossible de citer, ici, la multitude des publications récentes consacrées à Jeanne d’Arc et dont les plus importantes seront mentionnées au cours de ces études. Depuis que les ouvrages « classiques, » en quelque sorte, ont paru, depuis les beaux travaux de Quicherat, de Vallet de Viriville, de Michelet, d’Henri Martin, de Wallon, l’histoire de Jeanne d’Arc a été renouvelée surtout par les recherches de MM. de Beaucourt, de Coville, Tuetey, Siméon Luce. Marins Sepet, et, tout récemment, par les travaux de M.M. G. Lefèvre-Pontalis, Pierre Champion, le comte Durrieu, l’abbé Misset, le comte de Pange. Mais il faut citer, au premier rang, les publications du P. Denifle et de M. Châtelain, celles de M. Noël Valois et l’élégant récit de M. Petit-Dutaillis dans l’Histoire de France, publiée sous la direction de M. Lavisse.