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Ici à Rome, j’ai l’occasion de produire, comme jamais je ne peux la désirer plus belle, excepté le bonheur d’être toujours parmi vous, mes chers amis. J’ai à présent le plus bel atelier de Rome ; j’ai trouvé de très beaux modèles et une tranquillité inappréciable pour faire les arts ; il me semble donc que je dois profiter de tous ces avantages pour produire un bel ouvrage, qui me venge dignement de mes ennemis et qui me concilie tout. Voyez combien cela serait long à Paris, avant d’avoir trouvé seulement un atelier, et qu’il vaut bien mieux, je crois, arriver avec un tableau que de dire : « Attendez, je vais le faire, « et toujours « Attendez. » Pendant ce temps, ils parviendraient peut-être à me jouer encore de mauvais tours, et à me décourager tout à fait, et puis, je vous avoue que, vis-à-vis de vous, et du bonheur où je suis par vous appelé à devenir votre gendre, je suis jaloux d’en être encore bien plus digne près de notre Julie. Je ne peux supporter l’idée de ne pouvoir la rendre complètement heureuse, ce qu’elle mérite tant à tous égards. Qu’est-ce que vous penseriez, et elle, de me voir arriver sans moyens, et ne lui apporter pour dot que des espérances ? L’idée de vous être à charge, malgré toutes les bontés dont vous êtes capable, s’associe difficilement avec mes idées où je ne mets ni fierté, ni raideur. J’ai fait choix du tableau de Mars et Vénus dont j’ai l’esquisse peinte, que vous vous rappelez et que vous aimez, je crois. Depuis le moment où j’ai pensé à ce tableau, j’ai toujours eu le plus grand désir de le mettre à exécution. Il y a une touchante expression, avec beaucoup de beauté, et de la plus relevée ; de plus, ces beaux chevaux divins animent cette scène d’une manière très pittoresque. Je crois enfin qu’il n’en existe pas de plus beau à traiter. J’ai, de plus, le grand avantage de l’avoir beaucoup mûri et pensé, ce qui en rendra l’exécution plus facile et aisée. Je n’ai point de fond que le ciel et de beaux nuages[1]. Si donc je pouvais obtenir de vous et mes bonnes dames votre agrément sur ce projet, après que vous aurez bien pensé et pesé toutes les raisons que je peux vous donner, j’en serais content ; cela ne rendrait tout au plus mon retour plus éloigné que de quelques mois de plus, mais ce retour serait pour moi double en félicité. Je n’aurais, selon moi, rien à me reprocher, ayant fait tout ce que j’aurais pu. Quant à ma seconde figure,

  1. Ingres n’a jamais réalisé ce tableau.