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III

Le lendemain même du jour où il suppliait Julie de ne plus donner de son sang au seigneur Boquillon, il envoya de ses nouvelles à M. Forestier. Il n’avait jamais montré une si belle humeur. La mort de son directeur l’avait bien contristé, mais elle remontait déjà à plusieurs jours, au 9 février 1907, et puis, il avait tellement conscience d’avoir eu avec Suvée les rapports les plus « honnêtes, « qu’il était en paix avec lui-même. Ses camarades de la Villa Médicis n’en pouvaient pas tous dire autant, on le pressent aux réticences d’Ingres. Seulement, comme on l’avait chapitré sur sa trop grande franchise, il limitait ses confidences :


« Rome, ce 21 février 1807.

« Mon cher monsieur Forestier, je suis très sensible à vos bons souvenirs et bons souhaits. Vous devez bien savoir combien vous m’êtes chers, mes bons amis, c’est toujours un jour de fête pour moi lorsque je reçois de vos chères nouvelles. Je dois croire que vous vous portez tous bien à présent, et même, grâce à Dieu, votre bonne et chère Julie. Ces saignées me font toujours grande peur et pour moi et pour ceux que j’aime… Ce qui m’a rendu paresseux à répondre à votre avant-dernière, c’est que j’avais à vous apprendre une triste nouvelle et elles se savent, celles-là, toujours assez tôt ; ce n’est sûrement pas moi qui vous l’apprends le premier : c’est la perte que nous venons de faire de ce bon M. Suvée. Une attaque d’apoplexie nous l’a enlevé dans l’espace de cinq minutes, dans les bras de presque tous les pensionnaires, dont quelques-uns avaient été appelés près de lui pour affaires. Moi, sitôt mon dîner, j’étais sorti pour promener. J’avais tout laissé dans l’ordre et ne suis rentré que le soir. Nous perdons un bon directeur et la société un homme vertueux. J’aurai occasion de vous parler plus au long de cet événement…

« Il y a sans doute beaucoup à profiter à Rome, mais je me suis fait une échelle de beauté qui me fait admettre ou regretter une chose belle ou moins belle, ce qui fait que les extraits que j’ai à faire ici seront moins nombreux et plus judicieusement choisis. Mais j’espère toujours en retirer une belle moisson. Je