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n’était possible qu’avec le tableau où il se révélerait tout entier. Et, comme Julie lui avait écrit, en cachette, « pour la dernière fois, » c’est à elle qu’il donna directement des conseils de patience :


« Rome, ce 20 février 1807.

« Ma bonne et tendre Julie, vous devez bien m’en vouloir pour ma négligence, mais j’ai deux fois manqué le courrier. J’ai tant de choses à vous dire que je ne sais par où commencer. Mais avant tout, vous me pardonnerez, n’est-ce pas, car vous ne devez pas douter un seul instant du plaisir que j’ai à causer avec ma chère Julie. Je commence par vous dire combien je suis content que vous le soyez un peu mieux de moi, que vous ne l’avez été ; mais, chère amie, on vous a encore saignée, l’impitoyable M. Boquillon veut toujours du sang ! Quant à la lettre que vous m’avez écrite dans celle de votre papa, elle était à la vérité un peu sévère, mais juste et bonne ; gardez-vous donc de croire qu’elle ait pu me fâcher un seul instant. Vous devez à présent me connaître assez pour en douter un seul instant et croire que j’aime trop ma bonne et chère Julie pour ne pas, au contraire, la prier de me gronder toutes les fois que j’aurai pu lui déplaire... J’aime et j’approuve tous vos conseils et votre aimable sollicitude à l’égard de ce que je dois faire à Rome, mais je ne sais si vous aimez bien mon projet de faire mon joli tableau. Vous me le direz, ma chère Julie, mais croyez que je suis résolu à sortir le plus promptement possible de ce pays. Pardonnez-moi, ma Julie, d’avoir jamais pu penser de faire ici un grand tableau ; il est seulement nécessaire et pour mon art et pour mes affaires que je le fasse ici, ce petit tableau, — car à mon retour, je serais sans ressources, — pour du moins poser mon pied en arrivant, ce qui à vos yeux même me dégraderait peut-être, malgré que vous m’aimez, si j’ose le dire, et puis ma délicatesse souffre d’être à charge de la moindre chose à vos chers parens jusqu’à ce que j’aie fait un bel ouvrage qui achève de classer mon talent. Ce que vous me dites du secours que vos chers parens pourraient, en attendant, me donner, je reconnais en cela leur bon cœur, vous y mettez tant de grâce à me l’offrir et m’en parler que je suis à vos pieds plein de reconnaissance. Ce trait de votre part vous rend, s’il est possible, encore plus chère à mon cœur ; mais je ne puis me défendre de la crainte d’être à charge, et d’un peu d’amour-propre, que