Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


« Rome, ce 17 janvier 1807.

« Cher monsieur Forestier, je réponds de suite à votre lettre datée du 25 décembre... Avant tout, je vais vous parler de ce qui me touche le plus et qui me fait la plus sensible peine. Je parle de la sottise qu’a eue M. Gregorius de vous communiquer ma lettre, ce dont je ne l’avais pas prié. Je ne sais comment qualifier une telle bêtise, manque d’usage, de tact, légèreté et inconvenance. Il est vrai qu’un mot pareil n’est pas celui qui convient à mademoiselle Forestier, et j’en suis désespéré. J’en rougis jusqu’aux yeux. Vous ne pouvez me supposer, en ceci, qu’un mot déplacé échappé à mon cœur est la seule fois où j’ai pu offenser ce que j’aime le plus au monde ; me supposer en ceci plus coupable serait me juger bien mal. Je vous demande et à mademoiselle Forestier mille excuses et pardons. Je suis, je vous assure, assez puni d’avoir pu encourir votre blâme, et cette terrible leçon me servira de préservatif toute ma vie pour paroles et actions.

« J’avais déjà jugé M. Gregorius comme vous et j’ai toutes les peines à me retenir pour lui écrire ce que j’en pense. Je saurai maintenant mieux placer ma confiance, ou ne la placer autre part que chez vous, car je vois que les hommes sont tous ou méchans ou des imbéciles dangereux. Je serai, en outre, trop heureux que ma lettre arrive à temps pour réparer encore une sottise. Vous me faites tous voir que j’ai beaucoup à faire pour devenir aussi vertueux que vous l’êtes. Mais j’aime la vertu et crois l’être par nature : de tels conseils que les vôtres peuvent m’y conduire...

« Je vous remercie beaucoup de tout ce que vous avez fait pour moi. La lettre que vous avez écrite est parfaite, et vous me donnez toujours des marques de votre bonne amitié. Tout ce que vous ferez sera pour le mieux, j’en suis bien persuadé et bien tranquille. Le nombre de mes amis diminue tous les jours... Mais je vous assure que rien n’est plus capable de m’étonner et m’émouvoir, que la perte de votre estime et amitié, seules choses que je sois jaloux de conserver et chérir. Pour ce qui regarde mes intérêts et ma conduite envers le sénateur Lucien, voici ce que j’en ai à vous dire. J’aimerais mieux partir demain pour aller travailler aux mines de Pologne que faire un seul dessin, serait-il d’après Zeuxis. Vous le sentirez aisément quand vous