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Bartolini d’avoir fini mon portrait, il doit être très beau, et bien ressemblant. Pour l’autre, je suis enchanté que vous ne le trouviez pas méchant, il est bien, pour tout, l’ouvrage de mon âme et c’est peut-être celui qui a été le moins senti, ou, dis-je, le plus déchiré ; les scélérats, les monstres que je voudrais que le feu du ciel extermine ! La plaie qu’ils m’ont faite, et trop profondément, saigne encore, et je m’en vengerai de toutes manières. Rien ne peut me consoler, ni vous, chère Julie, n’y parviendrez jamais. Autant j’aime avec tendresse, autant je hais avec ténacité et fureur, mais je peux mieux employer cet entretien par de plus douces paroles faites pour vous. Je n’en puis trouver d’assez aimables pour vous peindre mon tendre amour. Je ne dors pas du tout, mais je veux que vous dormiez, vous. Songez que le seul soupçon de vous savoir malade est pour moi comme une réalité, que je mets toujours tout au pire, vous connaissant d’ailleurs si délicate. J’espère et vous jure sur votre douceur d’être bien exact à vous écrire, de vous aimer toute la vie et au delà, s’il se peut, puis de bien travailler pour vous et pour le bel art que Dieu me fait exercer ; et puis, vous savez, le bonheur du retour. Pour tout cela, si vous voulez me payer d’un peu de retour, calmez-vous, chère Julie, dormez, car je veille pour vous, dansez même, cela vous fait du bien et je vais le recommander à votre maman, je vous assure que cela me fera le plus grand plaisir et rendez-vous à vous-même. Soyez sur moi sans inquiétude, le travail va me distraire. Si j’avais la force d’être méchant avec vous, je vous ordonnerais. Croyez, ma douce amie, que je ne me servirai jamais de ce superbe mot avec vous, surtout pour vous prouver l’excès de mon attachement, en ce qui peut vous faire plaisir et vous rendre heureuse et plus qu’heureuse, ma douce amie Julie. Adieu, il faut cesser de vous parler, mais votre image me console. Adieu, l’âme de mon âme, mon aimable et douce Julie, adieu, du repos, du calme, de la santé, et pensez et aimez le pauvre Monsieur « Ingres. »


« P.-S. — Je ne saurais encore assez vous recommander de nous écrire le plus possible. Vous savez qu’à cela tient tout mon bonheur, mais songez aussi que la moindre imprudence nous trahirait et m’ôterait le seul vrai bonheur que je puisse avoir ici. Adieu, sans oublier la bonne Clotilde. Je la supplie d’avoir bien soin de vous et de nous aimer toujours. »