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je vous assure que celle-ci me donne le plus grand chagrin pour tout ce que vous m’y apprenez. Et vous aussi, vous osez me dire qu’il m’est difficile de penser toujours à vous parce que je suis dans la plus belle ville du monde, ma chère amie, vous voulez aussi augmenter ici mon amertume et me désoler par ces doutes cruels. Que n’êtes-vous ici invisible, vous seriez témoin de mon désespoir et du vide affreux que je ressens de ne vous point voir. Ma dernière lettre vous dira et je vous répète pour la dernière fois, mon aimable amie, de ne plus douter de mes tendres sentimens pour vous, que plus je vais, plus mon amour pour vous prend sur moi d’empire et je ne sais comment je pourrai aller jusqu’au bout. Je ne puis m’accoutumer non plus aux soupçons injurieux de vos chers parens, m’accuser d’ingratitude et d’égoïsme : voilà ce qui me navre le cœur et il faut que je les aime bien pour leur pardonner...

« ... La Providence nous récompensera bientôt des maux que nous souffrons, par des nœuds indissolubles qui vont nous unir pour la vie. Pensez-y quelquefois. La dernière lettre de votre papa vous instruira de mes projets que je voudrais que vous approuviez, mais je vous connais assez d’attachement pour moi, et de raison, pour la croire. Vous m’aimez peut-être assez pour me voir vengé des vipères qui m’entourent, que la gloire doit être la compagne de votre ami, qu’elle est nécessaire à notre état, notre bonheur commun et qu’elle peut me rendre indépendant des besoins de la vie. N’être à charge à personne et vous rendre la vie la plus douce et la plus honorable ! Je voudrais vous rendre plus heureuse qu’une reine heureuse, et pour cela faire, il faut un tableau d’abord, et puis d’autres. J’ose croire que j’aurai le talent de les faire beaux, que tout ce qui m’arrive a, je crois, doublé mes moyens, et puis l’idée que c’est pour vous, ma chère Julie, me fera faire des chefs-d’œuvre. Je ne puis donc revenir près de vous avant un an. Croyez que cette époque sera aussi un siècle pour moi et qu’il me faut le plus grand courage pour y arriver. Mais, ma bonne Julie, il le faut, vous le voyez bien ; mais soyez calme, gaie, reprenez cet air gentil que vous aviez avec moi et qui faisait mon bonheur. Je n’en serai pas jaloux, c’est moi qui le veux. Ma bonne et tendre Julie, que ne suis-je auprès de vous ! Mais à présent, on ne veut plus me plaindre, moi, on me croit très heureux, j’ose croire, ma Julie, que vous ne le croyez pas, vous. Je suis content et remercie bien l’ami