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promesse du bonheur qui m’attend à mon retour, d’être mis au nombre de vos enfans ; cette idée fait toute ma consolation et m’aide seule à soutenir le vide affreux que je suis forcé de supporter ici. Car ma position y est insupportable.

« Voilà pas encore trois mois que je suis à Rome, et il me semble y être depuis trois ans, et cependant il faudrait être aveugle ou de mauvaise foi pour ne pas avouer que c’est un climat et une ville intarissable en beautés de tout genre, en architecture pittoresque surtout et beaux effets. C’est une Babylone. Je m’occupe, en attendant mieux, à crayonner d’après, et vous faire jouir par de faibles ressouvenirs.

« Du jour où je vous écris, le soleil est trop chaud et le ciel est d’une limpidité ravissante. Nous venons de faire un petit voyage à Ostie, ancien port de Trajan, où j’ai par conséquent vu pour la première fois la » mer qui est retirée d’une demi-lieue de ce port depuis ce temps. Elle était un peu agitée, dans le moment où nous l’avons vue et rien au monde ne m’a jamais causé une plus grande admiration. C’est un des plus grands ouvrages de la nature, et cela rend les hommes et leurs facultés bien peu de chose. Nous espérons y retourner, ce printemps, et vous donnerai de ce pays plus de détails. Ostie n’est qu’à trois milles de Rome, entourée de marais très malfaisans, l’été, et n’est habitée que par une horde de malfaiteurs qui trouvent là l’impunité. J’aurai occasion aussi de vous faire le portrait des aimables citoyens de Rome ; ce que je peux vous dire, en attendant, est que notre situation serait ici très critique. Si les choses allaient toujours comme elles vont, ce serait fait de nous sans ressource. Je ne connais ici personne que ceux avec qui je vis et m’en trouve assez bien. Je vous enverrai avant qu’il soit peu un croquis de notre Palais et de sa belle situation. Cependant je le quitte et vais habiter une petite maison au bout du jardin, où je serai seul, et par conséquent plus libre, où j’ai une bien plus belle vue qu’auparavant, et, chose inappréciable, un bel atelier au Nord. Cette maison, qui a l’air d’un ermitage, domine sur Rome, et j’en prends possession demain. M. Suvée a mis en cela beaucoup de complaisance.

« J’attends tous les jours avec grande impatience de vos chères nouvelles ; si vous saviez comme je suis malheureux et isolé dans cette partie du monde que j’habite, lorsque j’en suis privé, vous m’écririez tous les jours. Je vous prie de me pardonner de vous