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comme le plus petit chagrin. Je vous consolerai du mieux que je le pourrai, jusqu’à ce que les vœux les plus tendres nous unissent à jamais. C’est moi qui suis malheureux, ma tendre amie, de ne vous plus voir ; il vous est impossible de vous l’imaginer, au point que, si j’en avais les moyens, je repartirais pour Paris, uniquement pour vous, mon aimable amie. J’ai relu cent fois cette charmante écriture au crayon ; je vais continuellement de la lettre au portrait. Il me semble vous voir, je vous parle, mais, hélas ! vous ne me répondez pas, il n’y a chez moi qu’un triste silence interrompu par le bruit d’une cloche ou d’une pluie qui tombe par torrens, accompagnée d’un tonnerre qui a l’air de présager l’anéantissement du monde entier. Je suis couché à neuf heures du soir et jusqu’à six heures que je me lève, je ne dors pas, je me roule dans mon lit, je pleure, je pense continuellement à vous, et je vais voir votre image qui me calme un peu, sans cependant me rendre heureux, tout le contraire. Quelquefois, dans mon mortel chagrin, je voudrais ne vous avoir jamais vue, mais cela ne dure que le temps de le penser. Ma charmante amie, mon ange consolateur, comme vos douces paroles sont bien d’accord avec vos aimables traits ? Qui vous entendrait vous verrait.

« Avec quelle peine j’ai appris les détails de notre triste séparation ! Par ce récit, ma chère, je me suis séparé de vous deux fois. Ah ! combien il m’est cher aussi cet anneau, gage de notre amour et fidélité ! Que votre père est cruel avec vous ! A Dieu ne plaise que je veuille le déprécier à vos yeux ; je n’y réussirais pas, quand j’en aurais la coupable envie, mais il faut avouer, ma tendre amie, qu’il est bien méchant quelquefois, lui qui est si bon. Il ne ressemble pas à notre bonne maman Forestier qui nous aime bien tout à fait, n’est-ce pas, ma bonne ? Je vais aussi lui écrire en particulier et ce sera sûrement dans sa réponse que vous m’écrirez, en cérémonie, mais un peu moins que dans celle du papa. Je l’aime bien, cette chère maman, presque autant que vous, parce qu’elle est bien bonne. Nous la trompons, il est vrai, mais quel mal faisons-nous ? Aucun. Elle le saurait, qu’elle ne pourrait même nous en gronder ; ainsi, ma chère bien-aimée, ne me privez pas de ce qui fait toute ma consolation présente et qui m’aide à supporter, quoique avec la plus grande peine, le vide affreux de votre absence. Ah ! chère amie, je suis bien malheureux, bien malheureux ; je n’y pourrai tenir, et malgré le