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à la Villa Médicis : s’il priait son père de solliciter la main de Julie, ce ne pouvait être que pour le jour où, ayant fait ses preuves, il reviendrait à Paris chargé des lauriers du Pincio.

C’était bien ainsi que l’entendait Ingres père. Pour lui, l’avenir de son fils n’était pas en question. N’avait-il pas déjà obtenu des commandes officielles, — et quelles commandes : à deux reprises, quand il n’avait pas encore vingt-cinq ans, le gouvernement lui demandait le portrait de Bonaparte, Premier Consul, pour l’Hôtel de Ville de Liège, puis le portrait de Napoléon Ier Empereur ! Sans doute, il ressentait l’honneur d’un mariage qui ferait entrer le fils d’un petit ornemaniste, le petit-fils d’un perruquier de la Cour des Aides, dans la bourgeoisie de robe. Mais celle-ci n’y perdait rien non plus. Ingres père prit donc la plume et, de son encre la meilleure, avec des formes charmantes, il adressa à M. Forestier la requête souhaitée par son fils.


La demande fut agréée. Puis, comme il l’avait décidé, le jeune artiste quitta Paris pour se rendre à Rome. Il partit au mois de septembre, laissant, pour le représenter au Salon, les portraits de Napoléon Ier, de M., Mme et Mlle Rivière et son propre portrait.


II

Le 11 octobre, Ingres franchissait le seuil de la Villa Médicis où l’attendait une lettre de Julie. C’est à elle qu’il écrivit d’abord, sous le couvert de Clotilde, la suivante dévouée dont la silhouette se détache à l’arrière-plan du groupe de la Famille Forestier :


« Rome, ce 19 octobre.

« Ma bien-aimée, ma bonne Julie, vous êtes un ange sur la terre. Combien vous me faites sentir mes torts ! Que j’ai de peine d’avoir douté un moment de vos tendres sentimens à mon égard, mais aussi, quel bonheur est le mien d’entendre de vous-même ces tendres assurances ! Non, ma belle, ne regrettez pas d’avoir épanché votre cœur avec celui qui vous adore et qui n’existe et ne vit que par vous. Ma charmante amie, n’ayez donc plus de regrets avec moi. Je n’aurai jamais pour vous le moindre secret, vous verrez toujours mon âme tout entière. Que de votre côté il en soit de même. Contez-moi le moindre plaisir