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pour l’avenir et demandez-lui son consentement et son appui auprès de papa qui, certainement, ne lui résistera pas longtemps. Ne craignez pas maman ; d’abord, elle vous aime particulièrement ; ensuite, quelque sévère qu’elle soit ordinairement, elle ne l’est pas pour moi, lorsqu’il s’agit d’une chose qui me regarde autant que celle-là ; employez-y, je le permets de bon cœur, cette manière aimable que peut-être moi seule connais ici et qu’ensuite il en soit question devant moi : j’y consens, malgré l’espèce d’embarras que cela doit me causer naturellement. Je le désire même, et c’est la meilleure preuve que vous pourrez me donner de votre sincérité. Je vous demande pardon de la manière dont je vous ai répondu lundi soir, quand vous m’avez demandé si j’allais vous faire chanter ; l’impatience de voir toujours papa derrière moi l’a pu seule causer. Croyez bien qu’une pareille brusquerie n’a jamais été dans mon caractère, ni dans mon cœur. Au surplus, vous me l’avez cruellement rendu, le soir, auprès du piano, par un mot dont je n’ai pas senti dans l’instant toute l’amertume. Très éloignée de l’idée que cet Italien pût vous inspirer quelque jalousie, je l’ai attribué à la langue italienne que vous n’aimez plus, et ce n’est qu’en réfléchissant après que j’ai découvert qu’il pouvait s’adresser à l’Italien lui-même, ce qui, je vous l’assure, m’a bien attristée. Pouvez-vous me soupçonner de légèreté à cet égard ? Vous en ai-je jamais donné des preuves ? Je ne le crois pas, je ne suis pas changeante, moi, et si vous obtenez une parole sûre de mes parens, soyez bien certain que ni le temps, ni l’absence ne sont capables de me faire varier un moment et qu’au bout même de dix ans vous retrouveriez toujours la même celle qui, dans tous les cas et toutes les circonstances, pourvu que vous continuiez à le mériter, vous a voué une inaltérable amitié. Adieu, monsieur.

« Cet écrit est le premier et le dernier que vous recevrez de moi en secret ; qu’il reste sans autre réponse que des actions, je l’exige, ainsi que vous me le rendiez aussitôt qu’il sera lu. Si vous êtes libre ce soir, venez nous voir. »

Ingres était mis au pied du mur. Il avait déclaré son amour à Julie. Julie, consentante, ordonnait que sa famille en fût avertie. Évidemment, la jeune fille montrait qu’elle était déjà femme de tête. Ingres était préoccupé de son avenir, — il y paraît à la lettre de Julie, — mais de cela ne s’embarrassait guère une enfant le dix-sept ans. Qu’il parle d’abord : on sauvegardera l’avenir