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de l’effrayant creuset où le mystère s’accomplit. Il se désespère, il arrête le feu ; il s’en va. Il se jure à lui-même qu’il ne compte plus sur la réussite, qu’il s’en désintéresse, qu’il ne viendra point défourner. Fasse qui voudra, des grès flammés ou des porcelaines ! Il n’en a cure ! Le lendemain, à la première heure, il accourt, et se brûle les doigts dans sa hâte à briser la porte de son four…

Chaplet avouait toutes ces choses, mais la dominante de ses impressions était la confiance dans les forces secrètes de la nature. Il disait : « N’ayez pas peur de remettre au feu. Le feu seul vous donnera une matière solide, compacte, une couleur profonde, un grain savoureux. Si un premier feu ne suffit pas, jetez votre porcelaine dans un second, si le second n’en a pas fait ce que vous désirez, demandez-le à un troisième, et ainsi de suite, jusqu’à ce que votre essai soit perdu ou sauvé. Les harmonies que donne le feu sont toujours belles… » Pendant cet éloge du Feu, la nuit était venue. Le vieux potier continuait de parler, mais je ne voyais plus ses paroles sur ses lèvres : je les entendais seulement. Il prenait un grès ou une porcelaine, le palpait, le reconnaissait, en éprouvait une dernière joie ; son souvenir rallumait les teintes endormies ; les évoquait, une à une, comme des victoires et j’avais la sensation qu’il les voyait encore, quand moi, depuis longtemps, je ne les voyais plus…

L’artiste était tout entier dans les paroles que je viens de rappeler. C’était un empirique. Il a sans doute profité des recherches faites avant lui, et les services rendus par les chimistes de Sèvres à la céramique française sont hors de cause ; mais il n’a point suivi sans contrôle les enseignemens de la science et, les trouvant insuffisans, il a demandé à l’expérience de les compléter. Il a aussi sollicité le hasard, guetté l’accident, béni la catastrophe. Personne n’a plus étroitement collaboré avec la nature. Aussi regardons, dans la vitrine placée au milieu de la salle, ses dernières œuvres, les plus belles : elles sont en tout semblables à des créations de la nature : on dirait presque des roches ou des galets roulés dans des pierres précieuses. La forme y est peu de chose, le décor n’y est rien ; à peine, çà et là, sent-on que la main de l’homme a mis une retouche aux essais du cratère. Ce ne sont que matières et couleurs. Encore ne voit-on pas ces couleurs découpées en arabesques, mais unies, fondues, allant s’évanouissant ou s’échauffant, comme