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Chaplet a travaillé pour ces amateurs de la belle plastique qui en promenant leurs doigts, aux longues phalanges, sur les médailles, les ivoires, les netzkés, les bois précieux, et curieusement ouvragés, y prennent autant de plaisir qu’à les voir.

Il en a été récompensé. Un soir, dans son atelier de Choisy-le-Roi, le grand vieillard, adossé à son four éteint, les yeux éteints, me contait sa vie en maniant un admirable bloc de porcelaine peau d’orange qu’il caressait en parlant. Il parlait du feu comme quelqu’un qui a vécu dans l’intimité d’un roi fantasque et bienfaisant, d’un despote d’Orient qui, en une heure, vous comble de dons ou bien brise vos plus longs espoirs et met à néant vos plans les mieux combinés, un génie quinteux dont toute une vie passée à ses côtés n’a pu vous faire pénétrer entièrement le caractère ni présager l’humeur. Il l’évoquait avec un mélange de respect et de familiarité, de défiance et de gratitude, mais avec un fond de tendresse. Car le potier parle du feu comme le marin parle de la mer.

La raison en est simple. Le potier propose, mais le feu dispose. C’est le potier qui moule, mais c’est le feu qui peint. Le potier ne peut que lui fournir les couleurs, lui donner de l’air ou l’étouffer, et l’arrêter au moment où il croit que le ton le plus beau est atteint. Car, à mesure que le feu travaille, les couleurs mises sur la terre s’exaltent, éclatent, puis elles changent, passent, « virent » comme on dit, s’éclairent ou s’obscurcissent, deviennent de tout autres couleurs. Le vert pâle devient un vert éclatant, puis le vert devient bleu, puis le bleu devient blanc. Le blanc rosé devient rouge, le rouge devient jaune, le jaune devient noir. Selon le moment où il arrête le feu, le potier retire le même vase rouge, jaune ou noir, éclatant ou terne, semé de « cloques » ou lisse, svelte ou brisé. Jusque-là, il ne peut que se tenir à côté de lui, entasser du bois ou laisser passer l’air et le regarder faire. Encore voit-il très mal ce qu’il fait. Il en est réduit à le deviner. Il applique son œil contre le « regard, » petite lunette creusée dans le mur : il voit si le feu est encore jaune clair ou s’il est déjà blanc ; avec de longues pinces il retire, comme le pyromancien antique, de petits morceaux de terre, des « montres » dont la couleur lui est un présage. Mais que ce présage est douteux ! Son anxiété grandit, A certains momens, elle devient intolérable. Il y a en lui du joueur comme il y a du savant. Il tourne et retourne autour