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dite qui disparaît sous la riche diaprure des couleurs, ces poteries rayonnent d’un éclat compact qu’on n’obtiendrait sur aucune autre matière, faïence ou grès, — et cela seul justifie l’emploi de cette terre et de ce mot. Ensuite, si le mot « porcelaine » évoque en nous l’idée de quelque chose de mince et de fragile, de féminin semble-t-il, et qui inspirait à Carriès ce mot : « Le grès est le mâle de la porcelaine, » ici, au contraire, hors l’infinie douceur des teintes neigeuses, lactées, cendrées, gorge de pigeon, il n’est rien que de robuste. Encore nos yeux ne nous renseignent-ils pas entièrement sur le poids de cette matière. Si vous ne faites que la regarder, vous vous dites : c’est une fleur ! Si on vous la met dans la main : c’est un obus ! Enfin, troisième signe distinctif, à aucun moment, nous n’avons la sensation que voici une forme qui a été revêtue d’une couleur ; elle ne se conçoit pas plus sans sa couleur qu’une figure, qu’une main, qu’un fruit, qu’une pierre : elle semble être née avec elle. Ce n’est pas un ornement : c’est un état ; ce n’est pas une parure : c’est une peau. Combien elle est nuancée, bigarrée, sillonnée de lueurs et de veines sous-jacentes, vous le voyez d’un coup d’œil et plus vous vous y attachez, plus vous en percevez de nouvelles, sourdre et filtrer, point par point, fil à fil, onde par onde, comme au long des côtes de Provence, lorsqu’on s’approche du bord, on voit les sables blancs et les algues du fond serpenter en arabesques vertes et lilas parmi les bleus incandescens de la mer.

Et ceci n’est que pour le sens de la couleur. Mais observez l’épidémie de ces pots, de ces cendriers, de ces cornets. L’un a le grain de la coquille d’œuf ou de la peau d’orange, d’autres la peau de la poire, le grenu du rocher déchiqueté par les eaux, le tissu âpre de l’écorce d’arbre, le plissé de la coquille marine, le glacé de l’aubergine. Ce sont des joies et des émotions esthétiques non seulement pour le regard, mais pour le toucher. D’abord, pour cette sorte de regard qui est un toucher à distance, qui éprouve, enveloppe, soupèse, effleure, la densité d’une matière, son galbe, sa masse, son grain ou son épiderme avant que les papilles de la main ne soient mises en contact avec elles. Ensuite, pour le toucher lui-même, pour cette vue de près qui perçoit, point par point, la texture d’une matière, s’émeut, s’irrite, s’émerveille, s’alanguit, se calme, s’endort selon des accidens et des transitions perceptibles seulement à la sensibilité tactile.