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pour qu’elle se modelât facilement et pour qu’elle « fît corps » un peu de cette argile que, par un faux sentiment du beau, on en avait expulsé. Le verre ou la pâte de verre sont de fort belles matières, mais si l’on en rapproche la porcelaine on perd les qualités propres de l’une sans réaliser parfaitement les qualités différentes de l’autre. Au point de vue de l’artiste, l’erreur n’était pas moindre. Un effet de peinture à l’huile peut être un fort bel effet, mais se réalise beaucoup mieux sur toile ou sur bois que sur porcelaine et sur une surface plane que sur un corps bombé. On se donnait donc beaucoup de peine pour obtenir des résultats, au point de vue céramique, néfastes, et, au point de vue artistique, nuls.

En inaugurant sur la porcelaine des décorations jusque-là réservées à la faïence, Chaplet restituait donc à la pâte de kaolin son rôle céramique et à sa décoration des effets de couleur propres à la terre émaillée et que la peinture ne peut obtenir. Aujourd’hui que nos yeux sont habitués aux chefs-d’œuvre de cet art, tant exhumés de nos vieilles provinces que rapportés de l’Extrême-Orient, l’initiative de Chaplet nous paraît fort naturelle et sans grand mérite. Mais, à cette époque, elle constituait, de la part d’un homme jeune, pauvre et inconnu, une singulière audace et pendant de longues années les marchands de bibelots ou de curiosités, les industriels, les fabricans le lui firent bien voir. « Que voulez-vous que je fasse de cela ? disaient-ils. Il nous faut du vieux. C’est assez joli, mais combien ? — Vingt francs, disait Chaplet. — Vingt francs ! la douzaine ?... » Les amateurs préféraient les faïences anciennes qu’on trouvait à cette époque à fort bon marché, et ils n’avaient point absolument tort. C’était le temps où Sauvageot allait dans le Midi, ramassait nombre de Moustiers et donnait en échange des porcelaines toutes neuves qui plaisaient infiniment plus aux propriétaires. Il y a, au musée de Cluny, des pièces qui valent plusieurs milliers de francs et qui lui ont coûté quarante sous : des services qui étaient au grenier dans les châteaux ou dans des maisons de paysans et qui servaient aux enfans à faire la dînette. Les collectionneurs qui pouvaient avoir pour 4 francs une faïence de Moustiers ne se jetaient pas sur les pièces neuves dont Rudhardt leur demandait 25 francs. Quant aux profanes, inutile de marquer ici que toute faïence ancienne ou nouvelle leur déplaisait également. Ainsi, entre les profanes qui aimaient