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qu’un artiste vînt non de l’atelier et du salon, mais du four et de la poterie. Alors vint Chaplet.


II

Ernest Chaplet était né en 1835, à Sèvres à l’ombre de la manufacture. Il y avait travaillé dès l’âge de treize ans. Toute sa carrière est donc celle d’un potier. Sa vie n’est que l’histoire de ses recherches et de ses luttes avec les quatre élémens des Anciens : la terre, l’eau, l’air et le feu. Elles se divise en trois grandes périodes : 1° l’imitation des majoliques italiennes, 2° l’imitation des anciens grès français, 3° l’imitation de l’Extrême-Orient.

Au début, enthousiasmé par les faïences italiennes, les della Robbia, qu’il voyait au musée de Sèvres, il rêvait de les ressusciter dans la céramique française. Cette idée lui vint en même temps qu’à son maître Lessore, excellent artiste, de beaucoup plus âgé que lui et qui travaillait à Sèvres en même temps. En unissant leurs forces, ils parvinrent à exécuter trois vases assez importans dont l’un avait plus d’un mètre de haut et qui furent exposés en 1855. Mais ce que Chaplet cherchait à reproduire alors ce n’étaient point les formes, c’était la coloration italienne, c’est-à-dire qu’élève d’une fabrique de porcelaine, il ambitionnait de faire de la faïence ; ou, du moins, de traiter la porcelaine le plus possible comme la faïence.

Pour comprendre combien ce désir était nouveau et particulier, il faut se souvenir que tout l’effort de la science céramique à cette époque, représentée par les théories de Brongniart dans son fameux ouvrage, tendait à vitrifier le plus possible la porcelaine, c’est-à-dire non seulement à l’écarter le plus possible de la faïence, mais à la rapprocher le plus possible du verre. En même temps, tout l’effort artistique de cette époque tendait à confondre le plus possible la décoration de Sèvres avec la peinture à l’huile ou la miniature sur ivoire ou l’enluminure de missel. Les efforts de la science et de l’art réunis aboutissaient donc à des tableaux sur verre, ou du moins tendaient à y aboutir. Il y avait là une double erreur : céramique et artistique. Au point de vue du potier, la porcelaine, à ce point rapprochée du verre, n’avait plus les qualités de grâce souple et de consistance qui caractérisent une chose céramique. Elle les avait si peu, qu’on était obligé de restituer à la pâte.