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nécessairement dissimulée sous l’émail, ne servait qu’aux usages les plus communs et nul n’avait l’idée d’en faire la matière d’un art. Quelque chose aurait pu l’embellir et le magnifier : la couleur ; mais les couleurs capables de supporter les hautes températures où cuisent le grès et la porcelaine, les couleurs dites « de grand feu, » étaient inconnues ou se réduisaient à fort peu de chose : des teintes sombres ou tristes. Ainsi, les saines traditions de la céramique ancienne étaient perdues et rien n’était venu les remplacer. Quoi d’étonnant, si, de toutes parts, des artistes, peintres, sculpteurs ou rêveurs, accouraient pour faire la besogne abandonnée ou gâchée par les potiers ?

Cela commença par des imitations de Bernard Palissy. Palissy était fort à la mode au temps de Victor Hugo. Son art opulent et tourmenté, son génie inquiet, ses malheurs, sa passion pour la vérité poussée jusqu’au martyre, tout ce que remettait en lumière une nouvelle édition de ses œuvres publiée par Cap eu 1844, séduisait fortement les imaginations romantiques. En même temps, sa céramique opposait une parfaite antithèse à celle de l’Empire et du Sèvres officiel. Nul ne s’avisait que Palissy était un assez pauvre céramiste, qu’en lui, l’artiste seul avait sauvé le potier et qu’en s’attachant à cet admirable embrouilleur de genres, on retournait tout doucement à la peinture au lieu de s’acheminer vers la poterie. Des disciples lui naissaient dans toute la France.

Ce fut, d’abord, Avisseau le potier de Tours qui, dès 1845, exposait des faïences imitées de Palissy, faites dans son jardin, aux bords de la Loire, d’après les serpens et les insectes qu’il y entretenait avec sollicitude. Pull et Avisseau, sculpteurs et peintres bien plus que potiers, parvenaient jusqu’à un certain point, à rendre l’aspect des plats de Palissy, mais ils ne découvraient aucun nouveau procédé céramique. C’était encore Barbizet, qui les imitait et jetait sur le marché des Palissy par centaines, mais ne trouvait rien non plus. C’était, enfin, le marquis de Monestrol, un gentilhomme potier qui n’était pas loin de se croire une réincarnation de Palissy : il travaillait seul dans le petit village de Rungis, près d’Orléans et y endurait avec la joie du martyre, tous les déboires et les malheurs du héros légendaire, ce dont il se consolait en écrivant le Potier de Rungis, poème en vingt-six chants. Pourtant tout le monde n’imitait pas Palissy. Plusieurs cherchaient le chemin suivi par