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étaient les pionniers de la science à venir, et que, jusqu’ici, la pauvreté et la mauvaise chance, seules, avaient entravé leurs travaux et retardé leur triomphe inévitable. La noire bicoque dignifiée du nom de laboratoire et le four bancroche bâti par leurs propres mains, où s’accomplissaient leurs opérations souterraines, étaient des lieux interdits. A l’occasion, cependant, quelques croyans fidèles étaient admis dans l’enceinte et autorisés à risquer un coup d’œil sur les derniers essais. Le genius loci eût été un adepte de la magie noire, la pratique de ses incantations magiques n’eût pas excité plus de curiosité respectueuse que la production de ces étonnans hauts faits de poterie transcendantale. Naturellement, le visiteur privilégié qui avait joui d’une faveur si rare, se hâtait de répandre dans le cercle de ses connaissances un récit enthousiaste des promesses annoncées par tout ce qu’il avait vu[1]. »

L’impatience de ces néophytes se conçoit, si l’on envisage ce qu’était devenue, au milieu du XIXe siècle, la céramique française. Elle était en pleine décadence. Sèvres faisait de la porcelaine impeccable, à ne considérer que sa couleur blanche et sa limpidité, mais de l’art le plus grossier et le plus criard, si l’on regardait son décor. Sur une pâte déjà cuite au grand feu, le feu de 1 300 degrés, on posait toutes sortes de couleurs, imitant celles de la peinture à l’huile, et on faisait, ensuite, recuire le tout au feu de moufle, c’est-à-dire à une température très inférieure à la première. De cette différence de cuisson naissait une antithèse esthétique. Les couleurs n’ayant point passé au même feu que la terre elle-même, n’ayant point couru ses dangers, ni partagé ses vicissitudes, ne s’y étaient point incorporées. Elles conservaient l’aspect étranger et superfétatoire d’une image qu’on collerait sur une statue. Rien n’a paru de si pénible pour le goût depuis la découverte du kaolin.

La faïence, elle, était tout à fait abandonnée. Les classes moyennes, qui l’avaient mise en honneur, ne voulaient plus la voir depuis qu’une porcelaine blanche et délicate était mise à leur portée, et les amateurs ne se souciaient point des grossières décorations dont les ouvriers affublaient la faïence industrielle contemporaine. Le grès, qui n’est qu’une terre plus cuite, et point

  1. M. L. Solon, A history and description of the old french faïence, wîth an account of the revival of faïence painting in France, with a préface by William Burton ; London, 1904.