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mais où quelques fervens des arts du feu apportaient leurs essais. C’était chez CIauss, rue Pierre-Levée, chez Mme Dumas, rue de la Roquette, surtout à Bourg-la-Reine, chez Laurin. Ces industriels faisaient volontiers aux essais des amateurs une place dans leurs fours, mais sans grande confiance dans les résultats et regardaient ces néophytes d’un œil paterne et narquois en se demandant quel diable les poussait.

Ce diable, c’était la hantise de retrouver les secrets de la céramique ancienne : secret des rustiques figulines de Palissy, gonflant et déroulant leurs spirales sous un éclatant émail multicolore ; secret des madones de Luca della Robbia adorant l’Enfant Jésus du geste de leurs blanches mains, plus célestes du blanc émail qui les gantait ; secret des faïences de Moustiers, de Rouen ou de Nevers, si pleines et si robustes sous le tour gracile et le fin ajourage de leur décor ; secret enfin des frissons dorés qui passent sur les couleurs des majoliques hispano-moresques. « Elle serait curieuse à écrire, dit le grand céramiste Solon, l’histoire de ces temps d’épreuves et de ces singulières individualités que le caprice d’un moment et l’intérêt provoqué par leurs mystérieuses expériences mirent en lumière il y a cinquante ou soixante ans. Dans la galerie de l’amateur et dans l’atelier de l’artiste, on pouvait souvent rencontrer certains individus excentriques et impécunieux qui se donnaient comme les possesseurs des secrets de la faïence. Ils ne prétendaient pas spécialement au titre de chimiste ou de potier, mais ils parlaient « couvertes » et couleurs, et s’exaltaient dans la ferme conviction que la destinée les avait désignés pour être les rénovateurs de l’art céramique. Il était impossible de savoir exactement ce qu’ils faisaient ; ils avaient un air grave et défiant, et faisaient sans cesse allusion à des recherches et à des découvertes sur le point d’aboutir, qu’il suffirait de mettre en lumière pour montrer que le potier moderne n’avait rien à envier aux grands maîtres des anciens temps. Les noms de « Bernard » et de « Luca » revenaient sans cesse dans leurs discours. S’il fallait s’en rapporter à eux, une certaine parenté d’âme et de génie, qui unissait leur être intellectuel aux esprits de Palissy et de della Robbia, autorisait cette appellation familière. On savait peu de chose touchant la vie sociale de ces excentriques personnages ; ils réussissaient toutefois à exciter la sympathie et inspirer un certain degré de confiance. On admettait généralement qu’ils