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Mais voici que le soleil descend derrière les cônes de Juda. Le ciel, limpide comme un diamant blond, devient rose et orangé. Les montagnes se détachent en noirceurs sombres, du côté d’En-Gaddi. A l’opposé, une anse à peine distincte de l’Asphaltite luit doucement à travers des vapeurs bleuâtres, pareilles à des fumées de turquoise qui vont s’évanouir. Tout l’Orient se fonce de ce violet très doux, dont les peintres mystiques aiment à baigner les cimes des bois sacrés.

A présent, la lumière qui se retire laisse apparaître les accidens de la plaine. Des formes particulières se précisent. Les choses se mettent à vivre d’une vie individuelle, et les couleurs chaudes du couchant en avivent les contours. A mesure que la féerie crépusculaire envahit l’espace, on assiste, des hauteurs de la Fontaine, à la naissance d’un paysage extraordinaire.

Au bas du monticule, se déploie l’oasis, regorgeante de bananiers, d’orangers, de grenadiers en fleurs. Des champs de cotonniers aux boules neigeuses se découpent dans la zone de verdure, qui va s’éclaircissant jusqu’à la limite des Monts de Moab. Tout près du regard, les grandes feuilles vernissées des bananiers retombent en éventails, comme des palmes. Leurs branches se confondent avec celles des palmiers qui s’élancent au-dessus des petites maisons blanches de la moderne bourgade :


Jéricho s’aperçoit, c’est la ville des palmes.


Et cette nappe de verdure miraculeuse fait paraître plus immense l’immensité de la plaine d’ivoire et d’or. Les monts bleus et violets sont plus hauts, plus inaccessibles. La Mer Morte illuminée rougeoie comme une forge géante. Le ciel s’embrase d’un rose de feu et, par places, d’un rose de chair. Des cristaux orangés y pleuvent en gouttes lumineuses. Comme les veines marbrines dans les blocs de porphyre, des nuages pourpres, incarnadins s’y étirent, s’y métamorphosent, imitent des palmes couchées. Des palmes flottent partout sur Jéricho et dans le ciel. Maintenant, toute une partie de l’étendue est bleue, du bleu virginal et souriant des vierges de Lourdes. Gardienne de l’horizon, la chaîne moabitique resplendit comme une muraille de bronze rose.