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le Nébo arrondit son crâne chauve, dans le poudroiement de l’étendue ; à gauche, vers le nord, ce sont les pierres de Guilgal, où l’Arche errante se reposa ; en face, le Baptistère du Précurseur ; par derrière, le Mont de la Quarantaine, et, plus loin, le Mont des Oliviers, le Temple, — le Golgotha. Moïse, Josué, saint Jean, Jésus, — les initiateurs de la Nouvelle et de l’Ancienne Loi se sont levés dans cet intervalle de pays, qui va des Monts de Moab aux Monts de Juda. L’histoire religieuse d’Israël et de l’humanité occidentale se résume entre ces deux murailles de roches, où se brise le regard.


Les roches arides du désert palestinien ! Quelle puissance d’exaltation en émane ! Dès l’origine, elles exercèrent sur toutes les âmes ferventes une attraction impérieuse. Le désert fut l’école des Prophètes. Saint Jean, après y avoir bu l’eau des torrens et mangé le miel sauvage, en sortit sacré pour sa mission. Jésus s’y recueillit et s’y conforta. Aujourd’hui encore, ces montagnes sont pleines de solitaires. Les couvens et les ermitages y abondent. Depuis les siècles évangéliques, les pénitens et les voyans s’y sont succédé en une filiation ininterrompue. L’ascèse et l’extase s’y épanouissent comme les fleurs naturelles de ces solitudes. Sans doute, les autres déserts ont aussi leurs prestiges. Mais celui-là est à part. Il est purificateur, créateur d’enthousiasmes, révélateur du divin. C’est le paysage spirituel par excellence, le lieu de composition pour la prière, le support de la vie mystique, comme le corps est le soutien de l’âme. Il faut que son influence soit bien puissante pour que nous autres profanes nous n’y résistions point. Dès qu’on y entre, on y dépouille le personnage de théâtre que la vie moderne nous imposa. On y secoue l’automatisme des habitudes et de la discipline sociale. On y redevient un être spontané, attentif aux formes, aux couleurs, aux rumeurs et aux bruits les plus fugaces. Les sens s’affinent et se fortifient. On éprouve la richesse de son cœur et la pauvreté de ses paroles. On découvre un peu de l’ineffable que l’on porte en soi. On se replie sur soi. On soupçonne tout l’informulé de la pensée, tout ce qui déborde nos pauvres consciences d’éphémères. On commence à pouvoir se tourner vers Dieu...