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dans ces régions du Midi, tel que les peintres égyptiens l’ont dessiné sur les murs des nécropoles et que les céramistes grecs archaïques Font reproduit sur les panses de leurs vases. Les canons de la sculpture classique se modelèrent sur les types du gymnaste et de l’athlète qui étaient déjà des œuvres d’art. La réalité est autre. Une tête barbue, des épaules droites, une taille mince, des lombes renflés, des poignets et des chevilles très grêles, des pieds larges et plats, — tel fut sans doute le schéma du héros et de l’esclave antiques. Tel apparaît encore aujourd’hui le fellah du Nil et le nomade de la vallée du Jourdain.

Ce paysage des dunes et des salines de l’Asphaltite a quelque chose de si frappant, il s’en dégage une impression si particulière qu’on voudrait y fondre les dissonances de l’ensemble. A travers lui, on voudrait voir tout le reste. Mais on sent bientôt qu’il est impossible de ramener à une unité factice tant d’aspects divers. Au fond, le caractère de ce pays est double : il est tout ensemble ascétique et voluptueux. C’est un lieu d’enchantement et de terreurs religieuses. L’amollissante influence des villes coupables flotte toujours sur les eaux de la Mer Morte.

Cependant, quand on y porte avec soi l’obsession du passé, il est malaisé de n’y point apercevoir d’abord un paysage spirituel, d’une grandeur et d’une beauté unique. Qu’on monte, un peu au-dessus de l’oasis de Jéricho, jusqu’à la Fontaine d’Elisée, à l’heure où le soleil est encore dans son plein. L’immensité de l’horizon, la simplicité extrême du spectacle sont accablantes. Cela déconcerte nos petites âmes d’Europe, dont l’attention, pour être soutenue, a besoin de détails anecdotiques. Là, rien ne parle à la curiosité. Tout se présente avec le même caractère de généralité hautaine. L’imagination découragée ne sait où se prendre. Un éblouissant foyer de lumière diffuse, des nuances très pâles qui se dissolvent dans les vibrations de l’atmosphère, des lignes fuyantes à l’infini, — c’est moins la vallée du Jourdain qu’un lieu sublime de l’espace.

Et puis, peu à peu, dans la mortification des sens privés de nourriture, la pensée se réveille, la mémoire s’ouvre. Les symboles, les souvenirs se pressent en foule dans l’enceinte trop étroite de la vallée, ils se disputent la réflexion hésitante, ils s’écrasent les uns les autres. Là-bas, au-dessus de la Mer Morte,