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les vibrations de la chaleur. Toute la gamme des blonds et des jaunes chante dans les lointains.

Le beau matin d’hiver ! Des mousselines ténues s’étirent dans l’air très doux, — et cet air si pur est délicieux à respirer. La vie s’éveille, emplit le sol, l’espace et les eaux, de sa rumeur grandissante. En haut, dans le ciel noyé de lumière, des cigognes qui traversent la vallée poussent des cris stridens. Dans la brousse, ce sont des pépiemens d’oiseaux continuels...

Se peut-il que la Mer Morte, avec ses épouvantes, gronde à deux pas de cette terre bénie ?

J’entends son flot lourd heurter les galets de la plage.

Elle n’est point effrayante, cette mer au nom funèbre ! Toute bleue, un peu monotone, uniformément splendide, elle ne se différencie point, au premier aspect, de n’importe quelle mer méditerranéenne. Ici, à son extrême pointe septentrionale, elle apparaît comme une baie de Provence ou d’Italie, dont le fond serait obstrué par des amas de vapeurs, de manière à dérober la vue du large.

Pourtant, les montagnes qui l’enserrent ont quelque chose d’étrange, de jamais vu ailleurs. Leur nudité, leur profil singulier impressionnent. A gauche, voici quatre promontoires successifs qui s’avancent jusqu’au bord et qui donnent l’illusion de quatre nefs de cathédrales, des cathédrales géantes avec leurs transepts, leurs absides et leurs contreforts. Non, décidément, l’Asphaltite ne ressemble à rien de ce que l’on connaît ! Sa cuvette et le relief montagneux qui l’environnent sont construits et taillés à la façon des grandes œuvres humaines. On croit y sentir l’action d’une volonté dominatrice qui se serait jouée de toute cette matière et qui l’aurait figée en des altitudes paradoxales.

Ce qui trompe, ce qui empêche de saisir d’abord ce caractère artificiel et farouche, c’est le calme stupéfiant des lieux. Lorsque l’Asphaltite est tranquille, il est uni comme un miroir, où. les coulées abruptes des rochers se réfléchissent en des mordorures profondes. Il a l’air d’un beau lac paisible. Mais que le vent s’élève : il s’assombrit tout à coup. Les eaux couleur de plomb se soulèvent en lourdes vagues qui glissent les unes sur les autres. On dirait ces stratifications d’ardoises, dont les couches minces se superposent dans les excavations des carrières. Leur effort