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Plus on descend vers l’embouchure du Jourdain, plus le paysage fluvial s’élargit, mais sans devenir pour cela plus farouche.

Au Baptistère, le Jourdain n’était qu’une rivière paresseuse, à demi tarie par les sables. Maintenant, c’est un véritable fleuve, au lit largement étalé, au courant rapide, et par endroit torrentueux, qui s’extravase en lagune et en une série de petits étangs. La végétation est aussi plus exubérante, le sol humide, plus fécond. Une vie joyeuse, foisonnante, emplit le marécage. Il suffit d’y mettre le pied : ce sont aussitôt des claquemens d’ailes éperdus, des pépiemens, des cris d’oiseaux en fuite. Tout l’air est sonore du froissement des plumes, comme si l’on déployait soudain une immense toile à travers l’espace. Ces fourrés du Jourdain sont habités par des tribus volatiles de toutes les espèces : des cigognes, des pluviers, des poules d’eau, des canards sauvages, des martins-pêcheurs, des gangas et des vanneaux. Au moindre craquement dans les branches sèches, des compagnies de perdreaux s’envolent à tire-d’aile. Sans doute, les chasseurs sont rares en ces parages. Les bêtes y pullulent, innocentes et Gonflantes, comme dans un paradis terrestre.

Séparée du fleuve par une mince bande de terre molle, la lagune s’épanouit dans un vaste cercle de roseaux à panaches. Alentour, les étangs luisent comme des éclats de pierres précieuses autour d’une gemme fraîchement taillée. Leurs courbes gracieuses s’infléchissent dans tous les sens, sous les tamaris et les plantes aquatiques. Les moisissures des herbes, les reflets de la lumière matinale y créent une féerie de couleurs, une symphonie de nuances d’une délicatesse merveilleuse. Les eaux moirées sont vertes, roses, gorge-de-pigeon, couleur de prune. Et les tourterelles, qui effleurent la surface dormante, s’y répandent en longs chapelets tout blancs, comme des flottilles de cygnes.

Contemplé de cet éden, l’austère pays jordanien s’adoucit au regard. Sur le fond des roches aux tons ferrugineux qui surplombent le lac, la ligne confuse des roseaux et des tamaris apparaît plus verdoyante. Les pics et les cônes du désert de Juda prennent des colorations de vieil ivoire. Là-bas, vers Jéricho, les dunes semblent de petits tas de soufre qui s’enflamment sous