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pèlerins, et, en temps ordinaire, il a continuellement des fidèles et des visiteurs.

Dans ce cadre, qui fut réellement le sien, l’ombre ascétique du Précurseur nous apparaît presque souriante. Comme tous les paysages qu’a touchés l’Evangile, celui du Baptistère est d’une douceur qui étonne, au sortir des âpres solitudes sablonneuses où expire l’îlot verdoyant de l’oasis. Le limon déposé sur les deux rives par les débordemens du fleuve y entretient une végétation touffue, dont la luxuriance envahit jusqu’aux dunes avoisinantes. De hauts roseaux arborescens forment des fourrés compacts sur les berges. Une brousse inextricable les environne : tamaris, lentisques, jujubiers, peupliers-nains, toute une variété d’arbres à feuilles sèches et à rude écorce, capables de résister à l’ardeur tropicale du soleil. Les sèves obstinées percent partout les amoncellemens du bois mort. Cela est rugueux et cassant au toucher ; mais, de loin, les belles teintes dorées des arbustes rappellent les colorations automnales de nos bois.

Rien de plus frais, de plus reposé, de plus naïvement idyllique que ce creux bocager du Baptistère. Le Jourdain décrit, à cet endroit-là, une faible boucle autour d’un escarpement sablonneux : l’eau peu profonde s’arrondit en cuvette au pied du monticule, dont la paroi verticale s’y reflète du haut en bas, avec les massifs de végétation qui s’enchevêtrent sur les deux bords. Une barque primitive enfonce son image parmi les moirures immobiles de la surface. A gauche, une cabane en planches offre un abri sommaire aux pèlerins. Un aubergiste grec y est installé. Accroupi devant un réchaud de terre rouge, il fait griller des poissons qu’il vient de pêcher. A l’arrière de la vieille barque, le chat de l’auberge, ses pattes de devant croisées l’une sur l’autre, guette de ses grands yeux d’or les poissons vivans qui rôdent entre les herbes de la rivière.

Tout cela est si simple, si familier, la nature environnante est si moyenne, que l’imagination n’en reçoit pas l’ébranlement nécessaire pour évoquer le grand événement mystique qui s’accomplit, suivant l’Évangile, sur cette berge du Jourdain. Le souvenir n’en effleure même pas la pensée. On n’y pensera que plus tard, lorsque, bien loin du Baptistère qu’on a vu de ses yeux, on se prendra la tête entre les mains et qu’on essaiera de reconstruire idéalement ce lieu historique et sacré.