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Et puis l’on rentre à l’hôtel. Comme à un choc brusque et désagréable, la poésie flottante qu’on rapporte du dehors s’évanouit au contact des banalités européennes artificiellement transplantées sur cette terre rebelle : la table d’hôte misérable, le hall prétentieux avec ses étagères et ses guéridons encombrés de bibles anglaises et de vieux journaux illustrés, avec ses divans, ses boiseries et ses tapis de pacotille, toute sa camelote de bazar levantin. Mais ce n’est qu’un instant de confusion et de désarroi. La présence toute proche de l’Asphaltite vous obsède ; le sentiment qu’on respire l’air d’un pays si chargé d’histoire vous emplit d’un tel afflux d’émotions, d’images et d’idées, que les petites contrariétés ambiantes en sont aussitôt balayées. Avec le charme de l’heure, le charme de Jéricho vous pénètre...

La fenêtre du hall est ouverte. Le rebord est encore chaud du grand soleil de la journée. A portée de la main, une branche chargée de roses blanches et de roses roses dessine ses feuilles triangulaires sur la transparence lumineuse du ciel. Les cimes bleuâtres de l’oasis ondulent dans la clarté lunaire, une. clarté si pure que c’est moins la nuit qu’un jour voilé. Au milieu de l’étendue cristalline, brille la « faucille d’or, » le « croissant fin et clair, » qui resplendit sur le sommeil nuptial de Ruth et de Booz. De temps en temps, un aboiement de chacal monte dans le silence nocturne.

Alors, on se sent l’âme tendue comme un instrument aux vibrations prodigieuses. Les moindres souffles vont s’y amplifier en résonances infinies. Ce pays si vieux vous enivre de tous les philtres intellectuels qui s’y sont déposés et condensés d’âge en âge, comme en un gigantesque creuset. Des figures héroïques, pastorales ou sacrées accourent de tous les points de l’horizon, surgissent des profondeurs du passé. On songe que les gestes essentiels dont a vécu l’humanité et qu’elle n’a fait, depuis, que recommencer, ont été ébauchés dans cette plaine et sur ces montagnes. C’est ici qu’a jailli la grande source, où se désaltère toujours notre soif spirituelle.

Par-dessus toutes les autres ligures, celle de saint Jean domine cette vallée du Jourdain.

Aux approches des grandes fêtes, il y attire des milliers de