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pouce de Dieu. C’est modelé, aiguisé en arêtes vives, bâti, semble-t-il, pour l’éternité. Et cette nudité implacable est tellement riche de souvenirs qu’une moitié du monde en vit encore.

Mais, ici, comme partout en Orient, les contrastes sont aussi soudains qu’inattendus.

Après cette vision de désert biblique, la douce oasis de Jéricho est d’abord une surprise, puis un repos pour les yeux. Elle vous apprivoise petit à petit avec les rudes beautés de la Mer Morte. Entre Jérusalem et Jéricho, la route que l’on suit vous conduit, par des transitions insensibles, d’une nature sévère et triste, comme contractée et repliée sur elle-même, à une nature plus sauvage et plus effrénée en ses convulsions, — plus sereine aussi dans son immensité. Etape par étape, on passe du Nouveau à l’Ancien Testament, on va du Christ des miséricordes au Dieu terrible des vengeances. Depuis le Jardin des Oliviers, le Mont de l’Ascension, Béthanie, le tombeau de Lazare, l’auberge du Bon Samaritain jusqu’au sycomore de Zachée, il semble que les vestiges de Jésus s’effacent à mesure qu’on descend vers l’Asphaltite.

Pourtant, cette oasis de la moderne Jéricho retient encore comme un reflet évangélique. Je m’imagine assez bien ce qu’elle peut être au cœur de l’été : il paraît que c’est un enfer. Mais, par un soir tiède d’hiver, quand le hâle toujours brûlant de la journée est tombé, c’est délicieux de suivre un des chemins ombragés qui serpentent sous les verdures, en longeant les rigoles où luit vaguement, à travers les paquets d’herbes, un filet d’eau murmurante. Çà et là, derrière des rideaux de peupliers, émergent quelques maisons chrétiennes, très basses et toutes blanches, pareilles à des fermes perdues, dans une de nos campagnes de France. L’Angelus tinte, on ne sait où, derrière les branches recourbées en ogives des bananiers. Des religieux se hâtent vers une chapelle invisible. Une femme ramasse des linges étendus sur une haie. Dans la pénombre suave et fraîche, — d’une fraîcheur même un peu vive, — les formes estompées et fondues se ramènent à des images familières pour nos yeux d’Occidentaux. C’est la douceur de tous les crépuscules dans tous les pays du monde.