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il fait une large place aux livres publiés par d’autres membres de cette famille. (On sait qu’elle est représentée aujourd’hui à l’Académie française par mon confrère le marquis Pierre de Ségur, l’historien du XVIIIe siècle, qui s’est acquis rapidement une réputation européenne.) Un seul des écrivains du nom est absent du Guide bibliographique, le général : ses Mémoires y sont ignorés. L’inadvertance du bibliographe étranger est bien excusable ; la volumineuse Histoire de la littérature française publiée naguère, sous la direction de feu Petit de Julleville, par une réunion de savans professeurs de la Sorbonne, nomme une seule fois le général Philippe de Ségur, pour lui accorder cinq lignes, à propos de Napoléon et la Grande Armée. Elle aussi ignore les Mémoires.

On peut donner de cette injustice diverses explications plausibles. Quand l’ouvrage parut, en 1873, Adolphe Thiers vivait, gouvernait la France. Son grand nom faisait loi pour tout ce qui touche à l’époque napoléonienne ; il régnait despotiquement sur cette période de notre histoire, il n’y souffrait aucune usurpation, aucune nouveauté. Il était d’avis, et on l’en croyait, que son livre avait clos les études sur ce sujet. La critique ne se souciait pas de déplaire à un personnage aussi puissant dans la république des lettres. D’autre part, le premier Empire n’était pas en faveur, trois ans après la chute désastreuse du second. Douze ou quinze années encore devaient passer, avant que l’aversion, ou tout au moins l’indifférence pour le nom des Napoléons, cédassent la place à l’engouement renaissant pour la Légende épique, à la vogue des Mémoires militaires exhumés en si grand nombre durant les dernières années du XIXe siècle, alors que ce siècle finissant se retournait avec une curiosité passionnée vers son berceau. Enfin le style un peu suranné du général eût fait sourire les lecteurs d’Emile Zola, s’ils en avaient pris connaissance ; ils l’eussent traité de poncif, et je crois bien qu’ils eussent dit : pompier. Leur impression n’eût pas été la même devant la prose vieillie d’un ancêtre déjà classé, accrédité depuis trois quarts de siècle ; mais paraître comme une nouveauté en plein triomphe du réalisme, du naturalisme ! Imaginez les Martyrs, ou même l’Itinéraire de Chateaubriand, révélés pour la première fois au public français à ce moment !

Nourri des auteurs classiques, Ségur aspire visiblement à s’approprier la manière de Thucydide et de Tite-Live. Il a le