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côte, — alors on estimerait peut-être que nul spectacle n’est comparable, en beauté, à celui-là ; qu’il n’y a rien de pareil dans n’importe quel pays de la Méditerranée orientale.

La Bible elle-même nous avertit qu’avant la destruction de Sodome et de Gomorrhe, la plaine « était arrosée, partout comme le pays d’Egypte, comme le jardin de l’Éternel. » Quel rêve ! La région de la Mer Morte riante comme un paradis terrestre ! Une vallée aussi fertile et aussi peuplée que la vallée du Nil ! Est-il vraisemblable qu’il ne subsiste aucune trace de cette fécondité ? Pourtant, les fellahs vous disent qu’il suffit de semer, à peu près au hasard, sur cette terre maudite, pour que, bientôt, et sans se donner presque de peine, on récolte au centuple. En réalité, c’est toujours la terre de bénédiction, la terre où coulent le lait et le miel, selon la promesse divine. Elle est encore très largement arrosée. Qu’on s’avise d’employer ces ressources du sol et du climat, et, de nouveau, on fertilisera toute cette contrée devenue sauvage[1], on la transformera au point de la rendre méconnaissable. Malheureusement, toute la vallée du Jourdain appartient, aujourd’hui, au Sultan. Les fellahs rançonnés par l’administration des domaines impériaux cultivent le moins possible, afin de diminuer le chiffre de leurs redevances. La plupart, découragés, désertent leurs champs, retournent à la vie nomade. Et ainsi le beau jardin de la Bible n’est plus guère qu’un souvenir...

Il fut un temps, qui n’est pas très loin de nous, où ce jardin existait encore en partie. Vers le premier siècle de l’ère chrétienne, Hérode le Grand y construisit une nouvelle Jéricho sur le modèle des villes grecques de la côte syrienne. Au grand scandale des Juifs, il y éleva un théâtre, un hippodrome, un palais royal pourvu de tous les raffinemens de commodité et décoré avec tout le luxe de l’époque hellénistique. Très probablement, ce fut sa résidence favorite. En tout cas, le séjour devait lui en être beaucoup plus agréable que celui de la triste et fanatique Jérusalem. Il y reçut Cléopâtre qui venait de quitter Antoine au bord de l’Euphrate, et qui, par Damas et Apamée, était redescendue vers la Palestine. La grande voluptueuse se plut si bien à la cour du roi juif, dans cette molle

  1. Lorsque je passai à Tibériade, en novembre 1906, des équipes de terrassiers italiens étaient en train de défricher la plaine de Gennésar, — la patrie de Marie-Madeleine, — concédée à une compagnie allemande.