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de Ségur fut rapporté d’Espagne sur un lit de drapeaux, les étendards qu’il eut l’honneur de présenter au Corps législatif. Aide de camp le l’Empereur, général à trente ans, presque toujours rapproché de Napoléon, Ségur le servit jusqu’au dernier jour et put l’étudier de près. L’Empire tomba, il déposa son épée, reprit la plume de ses jeunes années, non plus pour écrire des fictions légères, mais pour raconter l’épopée dont il avait été témoin et acteur. Son Histoire de la campagne de Russie, parue en 1824, eut tout d’abord le vif succès que méritait cette poignante évocation de l’héroïsme et des souffrances de la Grande Armée. Dix éditions se succédèrent en moins de trois ans. L’auteur fut élu membre de l’Académie française en 1830 ; il y retrouvait son père, dont les nombreux ouvrages historiques étaient alors fort goûtés. Pendant les quelques mois que le vieux comte avait encore à vivre, les deux confrères, le père et le fils, purent se croire reportés à ces jours du Directoire où, dans la maisonnette de Chatenay, ils collaboraient aux travaux qui assuraient leur subsistance. Philippe devait siéger quarante-trois ans à l’Académie. Le soldat laissé pour mort sur tant de champs de bataille atteignit l’extrême vieillesse ; il mourut en 1873. il avait employé ces longs loisirs à rédiger les sept volumes de Mémoires qui embrassent toute la période de l’Empire.

Ces Mémoires ne furent publiés qu’au lendemain de la mort du général, en 1873. Si tous les ouvrages que nous possédons sur Napoléon et son temps devaient disparaître demain et si l’on n’en pouvait conserver qu’un seul, je n’hésite pas à dire qu’il faudrait choisir la déposition capitale de Ségur comme la plus instructive, la plus représentative des sentimens d’une époque et de la grande figure qui remplit cette époque.

Pourtant, l’œuvre totale n’eut pas d’abord la fortune brillante qui avait souri à la partie publiée sous la Restauration, l’Histoire de Napoléon et de la Grande Armée pendant l’année 1812. Je consulte l’excellent Guide bibliographique de la littérature française de 1800 à 1906, que nous devons au professeur Hugo Thieme, de l’Université de Michigan. Nous ne saurions assez rendre hommage à l’information presque infaillible de l’érudit américain : son répertoire mentionne les moindres productions de notre littérature ; les omissions qu’on y peut relever sont extrêmement rares. M. Hugo Thieme donne une longue liste des ouvrages du comte Louis-Philippe de Ségur, le père du général ;