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parce qu’elle nous apprend à merveille comment voyageait l’auteur des Martyrs et ensuite parce qu’elle constitue un cas d’autosuggestion vraiment curieux. Enfin, sa description de la Mer Morte étant, encore aujourd’hui classique, il n’est pas indifférent de savoir quelle en est au juste la valeur objective.

D’abord, il est manifeste (d’après le texte même de l’Itinéraire) que Chateaubriand arriva au bord de la Mer Morte, dans un état de dépression et d’énervement extrêmes. A la lettre, il brûlait les étapes. Qu’on en juge : il part de Jaffa le 3 octobre 1806, à trois heures de l’après-midi. Pour le soir, il est à Ramlé où il dîne. A minuit, il remonte à cheval, et, le lendemain 4 octobre, à midi, il fait son entrée à Jérusalem. Il prend à peine le temps de déjeuner et de chercher des guides, il se remet en route à cinq heures et s’en vient coucher à Bethléem. Le 5, il est debout à quatre heures du matin, expédie avant le déjeuner la visite de tous les lieux saints, et, pour dix heures, le voilà de nouveau en selle. Il s’arrête vers une heure au monastère de Saint-Saba, repart une heure et demie plus tard, — juste le temps de laisser souffler les bêtes, — et, pour la tombée de la nuit, il est en vue de la Mer Morte. Il campe au bord du lac, où il ne parvient qu’à la nuit close. Le jour suivant, 6 octobre, au lever du soleil, il emploie deux heures à errer sur la grève, fait ses paquets après cette promenade, oblique vers le Jourdain, où il chante un cantique, remplit une bouteille, prend quelques notes, arrive à Jéricho, sans doute un peu avant midi, mange un déjeuner sommaire à la fontaine d’Elisée, et, la sieste finie, il reprend la route de Jérusalem.

Il y a de quoi être stupéfait d’une pareille rapidité. En trois jours, il a parcouru les 80 kilomètres qui séparent Jaffa de Jérusalem, il est descendu, un cierge en main, dans la grotte de la Nativité, il s’est documenté sur tous les monumens de Bethléem, il a crayonné une esquisse de Saint-Saba, il a brossé une immense toile où se déroulent l’Asphaltite, la vallée du Jourdain, l’oasis de Jéricho, et, le surlendemain, il se repose déjà, auprès du Saint-Sépulcre ! C’est la marche foudroyante d’un conquérant ! La plaine de Saaron, le massif palestinien, le désert de Juda, la chaîne moabi tique, tout y a passé ! Un peu plus de trente-six heures lui ont suffi pour soumettre, à son œil d’aigle, des contrées entières.

Mais, d’habitude, il voit si large et si juste que cette hâte