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instant. Mais les contours sont si nettement découpés qu’on distingue toutes les anses et toutes les criques du rivage, et qu’on voit s’allonger sur les bords les grandes ombres dorées des Montagnes de Moab...

Quel contraste avec la désolation et la sécheresse environnantes ! Dans ces parages torrides, l’image hallucinante et partout présente de l’eau, de l’eau magnifiquement répandue comme une largesse inépuisable ! Et le spectacle inattendu de cette contrée quasi chimérique, belle comme une autre Terre promise, — cette douceur de l’azur et de la lumière, ces inflexions caressantes des lignes et des formes, cette volupté de l’air, — tout cela épanoui derrière l’anguleuse et dure Jérusalem ! Toute cette joie éparse derrière la Ville du Supplice !...

Par les sentiers hérissés de cailloux, on redescend tristement vers la vallée de Josaphat. A mi-côte, les dômes bulbeux de l’église russe du Gethsémani semblent s’élever sous vos pieds comme de gros ballons d’or, et ce sont les seules choses qui brillent parmi les pierres blêmes des sépulcres, sur ce mont de l’Agonie ! Mais la vision radieuse emportée des hauteurs de l’Ascension vous accompagne à travers les chemins ascétiques : et, quand on a passé la Porte de Sitti Myriam, pour s’engager dans les ruelles obscures et nauséabondes de la triste Betzétha, on songe encore à ce lac des enchantemens qui resplendit là-haut sous la muraille violette de ses montagnes...

Comment donc se fait-il que l’Asphaltite ait un renom tellement sinistre chez les Occidentaux ? Sans doute, les gens qui l’ont ainsi calomniée ne l’avaient pas vue, ou vue si vite, si superficiellement, avec des yeux tellement prévenus, qu’ils se sont bornés à répéter, sans variantes notables, les descriptions antérieures.

Il est évident que l’origine de cette mauvaise réputation est dans la Bible. Un lieu frappé par la colère céleste ne pouvait être qu’abominable dans la mémoire des hommes. Il fallait que cette colère se traduisît par des marques effrayantes, que la Sodomitide prît dorénavant l’aspect d’une terre maudite, en perpétuel témoignage de son châtiment, — et c’est bien dans ce sens qu’ont travaillé, durant des siècles, les imaginations épouvantées. Pourtant, la Genèse ne dit rien de pareil. En quelques