Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
L’ENCHANTEMENT DE LA MER MORTE

I
JÉRICHO

Lorsqu’on arrive à Jérusalem, ce qu’on aperçoit d’abord des hauteurs de la route, avant de franchir le ravin du Hinnom et de remonter vers la porte de Jaffa, c’est le plus ingrat profil de la ville sainte : la ligne grise des remparts, le cube trapu de la tour de David, et, dominant scandaleusement tout l’horizon, le clocher de l’église russe de l’Ascension planté comme un grêle et ridicule chandelier au sommet de la Montagne des Oliviers. Mais l’œil qui fouille les arrière-plans, par delà les surfaces ternes des murs et les entassemens des collines, ne tarde pas à découvrir une grande. étendue bleuâtre qui se confondrait avec le ciel, n’était la large zone nébuleuse, d’un noir opaque et violacé, qui semble peser sur elle et qui tranche sur l’azur plus vif de l’atmosphère réelle. Cette lourde barre horizontale, sans brèche apparente, ce bleu inerte et comme figé, — c’est la Mer Morte et ce sont les Monts de Moab.

L’Asphaltite ! La mer au nom funèbre ! La mer d’épouvante et de malédiction ! Comment ? C’est elle, déjà ?... On s’étonne naïvement de la voir comme cela, tout d’un coup, si près du regard ! Sur la foi des guides, on la croyait beaucoup plus loin. On l’imaginait, sombre et croupissante, enfoncée au creux d’un désert à peu près inaccessible, on calculait d’avance les heures interminables de la descente vers ses eaux pestilentielles. En effet, trente kilomètres environ la séparent de Jérusalem, et son niveau est à douze cents mètres au-dessous de l’endroit où nous