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changer l’esprit. Si l’on suivait ce conseil, il faudrait examiner soigneusement les candidats. Car beaucoup de ramoneurs sont d’excellens tories et ceux qui ne le sont point, le deviendraient aussitôt anoblis et débarbouillés. Enfin, comme dernière interprétation de la menace proférée par l’enfant terrible du Cabinet, M. Asquith tiendrait-il en réserve quelque vieille arme rouillée, empruntée à l’arsenal de la prérogative royale, comme fit le ministère libéral en 1871 ? Je ne le pense pas. Pour faire ces choses-là, il faut s’appeler Gladstone et avoir la conscience publique dans sa poche.

Qui donc dira ce que veut le pays, sinon le pays lui-même ? On va le lui demander une fois de plus en dissolvant le parlement. Et, si les Lords s’obstinent, on dissoudra encore et encore (c’est M. Winston Churchill qui l’annonçait dans la séance du 13 avril), et toujours ainsi, en rejetant sur l’entêtement de la pairie héréditaire la fatigue, le dérangement, la perte de temps et d’argent qui résulte de ces élections générales constamment répétées. Or, une élection générale met en jeu trop de problèmes différens et d’intérêts opposés, sans parler des influences personnelles et locales, pour donner, d’une manière nette et décisive, le verdict national. Il serait pourtant facile d’en finir en décidant qu’à l’avenir, les conflits entre les deux Chambres seront tranchés par voie de référendum. Un vote populaire, par oui ou par non, n’occuperait qu’une seule journée et terminerait la crise d’une façon honorable pour tous les amours-propres et laisserait toutes choses en l’état, sans mettre en jeu le prestige royal, sans rien détruire des institutions « léguées par la sagesse ancestrale. » On s’étonne que tous les esprits ne se rallient pas à cette solution. Mais il faut se rappeler que les Anglais sont très lents à accepter une idée qui n’est pas venue au monde dans leur île. On sait qu’ils se refusent à admettre le système décimal, si impérieusement ou si instamment réclamé par la science, par l’industrie, par le commerce et comment ils se cramponnent à leur vieux et absurde système de monnaies et de poids et mesures. Cependant, ils vont vers le référendum et ils y arriveront. C’est ce que doivent souhaiter, je crois, tous ceux, — et ils sont nombreux dans le monde ! — qui ont intérêt à voir l’Angleterre grande, unie et forte.


AUGUSTIN FILON.