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faisait juge en appel dans sa propre cause ; la nouvelle proposition transférerait cette infaillibilité à la Chambre des Communes. Il lui suffirait d’avoir eu deux fois tort pour avoir raison la troisième fois. A son tour, elle serait investie d’un droit ridicule et dangereux, en politique comme en toute autre chose : le droit de se donner raison à elle-même. Il faudrait, évidemment, qu’une autre autorité, supérieure aux Chambres, prononçât entre elles. Quelle sera cette autorité ? Non pas le Roi, assurément. Il convient de le laisser au rôle qu’il remplit si bien, à cette précieuse et bienfaisante neutralité qu’il observe avec autant de correction que de dignité. Il n’a été que trop question de lui aux dernières élections, lorsque les candidats populaires colportaient, de plate-forme en plate-forme, la promesse des fameuses « garanties. » M. Asquith s’était expliqué là-dessus, dans le nouveau parlement, avec une netteté qui, pour être tardive, n’en était que plus nécessaire. Jamais, a-t-il dit, il n’avait entendu parler que de l’autorité nouvelle puisée dans l’appui d’une majorité considérable. Il ne pouvait avoir songé, un instant, à demander une intervention royale. En effet, cette intervention serait aussi inconstitutionnelle en faveur des Lords qu’en faveur des Communes. Dans une des dernières séances du parlement, le secrétaire d’Etat à l’Intérieur, M. Winston Churchill, est revenu sur ce sujet. « Le souverain et la Chambre des Communes sauront défendre leurs droits contre les empiétemens de la Chambre héréditaire. « Cette phrase étrange n’avait point passé inaperçue ; mais, comme M. Churchill parle bien et aime à produire de l’effet, on n’y aurait pas attaché une importance exagérée si le chef du Cabinet n’avait répété, en termes un peu différens, les paroles comminatoires de son jeune collègue et remis ainsi sur le tapis les fameuses garanties. En quoi les droits du souverain sont-ils engagés dans cette lutte ? Qu’attend-on de lui ? Qu’il sanctionne une loi non votée par les Lords ? Ce serait un coup d’État. Qu’il noie dans une promotion de cinq ou six cents pairs la majorité actuelle de la Chambre des Lords ? Guillaume IV a reculé devant cet expédient lorsqu’il s’agissait de faire disparaître une majorité de neuf voix.

Si on persuadait à Edouard VII de signer une pareille mesure, ce serait la réalisation d’une plaisanterie célèbre de M. Frédéric Harrison, qui proposait de verser dans la noble assemblée 400 ramoneurs pour en épurer l’atmosphère et eu