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lorsque les deux Chambres représentent chacune un principe différent et émanent de différente source. Là où elles procèdent toutes deux, plus ou moins directement, du suffrage universel, il faut, pour les différencier, introduire une limite d’âge, un mandat plus long, un système de renouvellement différent. Une Chambre d’hommes mûrs ou de vieillards tempère, ou est censée tempérer les ardeurs d’une Chambre de jeunes gens. Aux États-Unis, les deux assemblées n’ont ni la même origine, ni le même mandat. L’une représente les États confédérés, l’autre exprime les intérêts et les idées de la nation tout entière. La Suisse a emprunté cette double institution à la grande république américaine ; mais, chez nos voisins, elle est plutôt une forme qu’une réalité. En d’autres pays où le pouvoir personnel du souverain coïncide avec un commencement d’institutions démocratiques, ce pouvoir personnel crée la seconde Chambre et s’appuie sur elle. La Chambre des Lords ne peut être comparée à aucune autre assemblée. Ses ennemis rappellent ironiquement la Chambre des Landlords et elle a bien tort de s’en défendre, car il est impossible de la définir d’une façon plus brève, plus exacte et j’ajouterai : plus honorable. Elle a été autrefois et, par un caprice (apparent) de l’histoire, elle est redevenue l’assemblée des peers of the land. Elle représente la propriété, surtout la propriété foncière, cette terre qui meurt, dit-on, et qu’il faut empêcher de mourir, de peur que nous ne mourions avec elle. Si les intérêts permanens et héréditaires de la société ont une objection à élever contre les théories ou les actes de la Chambre populaire, la mission de la Chambre des Lords est d’exprimer ces objections. Elle est la Chambre des objections comme la Chambre des Communes est la Chambre des progrès.

Mais alors, elle sera toujours du côté des conservateurs ? — En effet, elle est conservatrice par essence, par nécessité, et elle demeurera conservatrice ou elle ne sera rien. Cette tendance s’accuse chez elle plus que jamais et elle se montre conservatrice avec une sorte de violence parce que, dans l’autre Chambre, l’idée de progrès a pris un ton agressif et intolérant. cette Chambre de propriétaires défend la propriété comme on ne l’a jamais défendue, parce qu’on l’attaque comme on ne l’a jamais attaquée. Les radicaux n’ont pas tort de déclarer la situation intolérable car elle l’est, en effet, puisque la Chambre des Communes