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d’établir une véritable parité entre les deux cas, entre la suppression de l’impôt sur le papier et la violation d’un principe qui est le fondement de toutes les législations anciennes et modernes et que la loi religieuse a consacré avant la loi civile ? Au lecteur d’en décider. Peut-être pensera-t-il que l’acte de M. Lloyd George compromet rétrospectivement Gladstone beaucoup plus que l’acte de Gladstone ne couvre aujourd’hui M. Lloyd George.

Quoi qu’il en soit, après six mois de discussions ardentes devant la Chambre des Communes et devant le pays, le malencontreux budget, présenté le 30 avril, arrivait à la fin de novembre à la Chambre des Lords qui, sans le discuter et, par conséquent, sans l’amender, suspendait son vote et réclamait la dissolution. Il ne faut pas chercher à diminuer la gravité d’une telle action, mais il ne faut pas dire, non plus, qu’elle a violé la Constitution, comme on l’a répété tant de fois depuis le mois de décembre et comme M. Asquith l’affirmait encore il y a quelques jours. Les précédons qu’il a empruntés au XVIIe et au XIXe siècle se retournent contre lui. Jamais, ni en 1661, ni en 1861, je crois l’avoir expliqué dans la première partie de cet article, la Chambre des Lords n’a renoncé à son droit de rejeter le bill de finance. Elle a seulement déclaré qu’elle reculait devant les conséquences d’un tel rejet. Chaque année, depuis trois siècles et plus, la Chambre des Communes reconnaît ce droit à la Chambre des Lords puisqu’elle soumet le budget à son approbation. Si les Lords n’ont plus rien à voir dans les finances, comment se fait-il que leur contre-seing soit nécessaire afin que le budget devienne légal ?

La vérité, c’est que les Lords ont usé d’un privilège dont ils s’abstenaient d’user depuis longtemps. S’ils n’ont pas violé la Constitution, ils sont sortis de leurs propres usages, en rejetant le budget de l’année. Ils ont fait une chose encore plus hardie que de le rejeter purement et simplement : ils ont mis le gouvernement dans la nécessité de dissoudre, comme s’il eût essuyé un vote adverse dans la Chambre des Communes : démarche absolument nouvelle de la part de la Chambre des Lords et dont, si haut que l’on remonte dans le passé, on ne trouvera point l’analogue. Aussi n’est-il pas étonnant que M. Asquith, dans la solennelle séance de l’Albert Hall où le parti radical formula son programme, à la veille des élections, ait repris, presque dans les mêmes termes, la déclaration de guerre lancée, deux ans plus tôt, par Campbell Bannerman. Mais il y ajouta une