Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

années de domination ? Mais, à cette époque, pleins de méfiance et d’inquiétude, ils n’étaient disposés à laisser passer la nouvelle loi électorale que si elle était accompagnée d’une loi pour le remaniement des circonscriptions qui ne fût pas dirigée contre eux. Leur crainte était que Gladstone, aussitôt la réforme électorale volée, ne fît immédiatement la dissolution et ne procédât aux élections en laissant les circonscriptions dans l’état où elles se trouvaient.

Gladstone, qui était la vertu même dans la vie privée, n’était pas incapable de jouer un tour à ses adversaires politiques. S’il n’avait pas l’intention d’abuser de ses avantages en cette occurrence, pourquoi ne pas donner immédiatement les garanties demandées ? Pourquoi ne pas les offrir lui-même loyalement, au lieu d’entrer dans une de ces colères qui avaient, — oserai-je le dire ? — quelque chose d’enfantin et où l’entraînaient si fréquemment ses instincts extraordinaires de pugnacité ? Il fallut que la Reine s’en mêlât comme elle l’avait déjà fait en 1869. Les lecteurs de la Revue ont eu l’occasion d’observer, lorsqu’ils ont pu lire ici même de curieux extraits de la correspondance de Victoria avec ses ministres, combien son influence et son rôle avaient été plus importans que nous ne l’avions cru, généralement. Le conflit de 1884 est une des circonstances où cette princesse sensée, laborieuse, dévouée au bien (on peut et on doit lui donner ce triple éloge sans la moindre flatterie), s’employa utilement à épargner au pays d’inutiles et dangereuses agitations. Lord Morley fait honneur du dénouement pacifique de la crise à « la modération » de Gladstone. Il me permettra de lui dire que son récit inspire au lecteur une conclusion toute différente. C’est à la Reine que revient le mérite d’avoir conseillé aux leaders des deux partis une conférence où la question pût être réglée à l’amiable. Gladstone y consentit et fut surpris de trouver dans cette conférence lord Salisbury tout à fait traitable et presque gracieux. Il était dans la nature de lord Salisbury de se montrer conciliant lorsqu’il avait raison : ce qui lui arrivait quelquefois. Gladstone n’en continua pas moins à croire et à répéter que la Chambre des Lords avait échappé à un grand danger et on ne peut s’empêcher de sourire en voyant qu’il reste encore quelque chose de cette étrange illusion dans l’esprit de son éminent biographe.

Sur le premier bill qui organisait le Home Rule irlandais,