Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poudre. La chose en valait-elle la peine ? Gladstone apercevait-il les conséquences, bonnes et mauvaises, que devait avoir le rappel du droit sur le papier, suivant de quelques années l’abolition du timbre ? C’est de là qu’il faut dater la naissance de la presse à deux sous et à un sou, qui, avec les réformes électorales de 1867 et de 1884, marque l’avènement de la démocratie. Au fond, qu’importait que le dégrèvement du thé précédât de deux ou trois ans le dégrèvement du papier, ou le contraire ? Au point de vue de la carrière politique de Gladstone, il importait beaucoup ; car c’est cette lutte contre les Lords qui le plaça au premier rang du parti libéral et rendit son leadership inévitable sans contestation possible.

La Chambre des Lords était déjà fort impopulaire ; elle l’était plus encore en 1871 lorsque éclata le conflit à propos de l’abolition de l’achat des grades dans l’armée. Cette fois, les pairs avaient bien mal choisi leur terrain de combat. Ils avaient beau dire qu’ils ne combattaient pas la réforme en elle-même, mais voulaient seulement assurer des indemnités suffisantes aux intéressés, l’odieux de la vieille institution rejaillit sur eux, avec la fange des souvenirs honteux qu’on avait remués. N’était-ce pas un prince du sang, commandant en chef des armées sous son père George III, qui avait fait ou laissé vendre les grades militaires au plus offrant par son ignoble maîtresse ? Cette fois, Gladstone, sentant l’opinion, je dirai plus : la conscience publique de son côté, brisa la résistance des Lords par un acte arbitraire et dictatorial qu’on n’eût accepté d’aucun autre homme d’État dans aucune autre circonstance, et qui passa, — chose incroyable ! — presque sans protestation. Faisant usage d’une prérogative abandonnée depuis bien des siècles et devant laquelle les Tudors et les Stuarts eussent, peut-être, reculé, il abolit l’achat des grades par royal warrant. J’étais alors en Angleterre et j’ai assisté à ce coup d’État. Rien ne bougea dans le pays et, quinze jours après, on n’en parlait plus.

En 1884, le ministère libéral très justement déconsidéré par les événemens de l’Afrique du Sud (Majuba) et du Soudan (mort de Gordon) cherchait à se retremper par une réforme électorale qui aurait fait entrer dans le pays légal deux millions d’électeurs nouveaux. A qui iraient ces deux millions de suffrages qui pouvaient renverser la balance des partis et l’ont, en effet, renversée, car c’est à eux que les Tories ont dû leurs vingt