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assemblées. Gladstone a été le héros de cette lutte. En deux rencontres, il a triomphé. A la troisième, il a dû faire la paix avant de combattre. La quatrième bataille a été son Waterloo[1].

La première fois, c’était en 1860. Le traité de commerce avec la France venait d’être signé. Il entraînait, comme conséquence immédiate et provisoire, des moins-values, destinées à être largement couvertes dans un avenir prochain, mais qui, pour le moment, rendaient impossibles certains dégrèvemens projetés et promis. Sur quel article tomberait la disgrâce ? Qu’allait-on sacrifier, le thé ou le papier ? Gladstone, alors chancelier de l’Echiquier, voulait supprimer l’impôt sur le papier et il s’attacha, dès le premier jour, à cette idée avec cette obstination impétueuse et passionnée qui le caractérisa jusqu’au dernier jour de sa vie politique. Le Cabinet avait deux têtes, lord Palmerston et lord John Russell, l’un contraire, l’autre favorable. Les Lords saisirent avec empressement l’occasion d’un conflit, car ils sentaient que le thé était plus populaire que le papier. Ils rejetèrent une première fois le bill qui supprimait le paper duty, et c’est alors que Gladstone imagina, en 1861, d’insérer la nouvelle mesure dans la loi annuelle de finances, en défiant les Lords d’y toucher. On ne leur déniait pas le droit de rejeter cette loi en bloc, mais le droit de la modifier dans ses détails. Les Lords, — ceci est d’une importance capitale au point de vue de la bataille à laquelle nous assistons en 1910, — acceptèrent ce principe comme l’avaient fait leurs ancêtres en 1667. Il leur paraissait impossible de désorganiser les services publics de l’année et d’exposer le Trésor à d’énormes pertes, de suspendre, en quelque sorte, la vie nationale pour faire triompher une idée ou affirmer leur puissance législative. Ceux qui ne connaissent pas bien Gladstone doivent être étonnés lorsqu’ils lisent, dans l’admirable biographie que lui a consacrée lord Morley, les notes jetées par lui sur quelques feuillets, au cours de cette lutte. On y sent une furie combative et comme une odeur de

  1. Je me suis demandé si je devais ajouter à ces mémorables conflits la très sérieuse escarmouche de 1869, où les deux Chambres furent aussi aux prises à propos du « désétablissement » de l’église protestante d’Irlande. Mais, en cette circonstance, des concessions réciproques amenèrent un arrangement. La Reine, voyant que Gladstone était décidé à jouer le tout pour le tout, agit sur l’archevêque de Canterbury et, par lui, sur la Chambre des Lords, pour l’amener à accepter, de bonne grâce, cette réforme inévitable et obtenir ainsi de meilleures conditions décuniaires pour l’Église dépossédée.